29-30 septembre 1938 - Allemagne: paix honteuse de Munich

Les Accords de Munich, signés le 30 septembre 1938 à 1h30 du matin par l'Allemagne, l'Italie, la France et la Grande-Bretagne, permettent au Troisième Reich d'annexer purement et simplement la région des Sudètes, une zone du territoire tchécoslovaque à forte minorité germanophone. La France et la Grande-Bretagne, partisans de la "Paix à tout prix", cèdent sur tous les points aux exigences d'Adolf Hitler. La Conférence de Munich brille dans l'Histoire par sa brièveté: les Accords sont signés seize heures après son ouverture. C'est ce que l'on appelle la "Paix honteuse de Munich".


Paix honteuse de Munich et "réglement" des Sudètes.

Le 29 septembre 1938 à 10h s'ouvre à Munich la Conférence "de la dernière chance". Le Président du Conseil des ministres (Premier ministre français) Edouard Daladier et son homologue britannique, Neville Chamberlain, recontre le Chancelier allemand Adolf Hitler pour tenter de trouver une solution au "problème des Sudètes".


1° Crise des Sudètes.

Le 18 octobre 1919, avec la défaite de l'Allemagne et la chute de l'Empire Austro-Hongrois, la Tchécoslovaquie accède à l'indépendance grâce au Traité de Saint-Germain-en-Laye, au nom du principe wilsonien du "droit des peuples à disposer d'eux mêmes". Ce traité octroit à la Tchécoslovaquie des territoires où vivent des fortes minorités: Bohême, Moravie, Ruthénie et Silésie. La population germanophone vit dans la Région surnommée "les Sudètes".

Carte ci-dessous: différentes régions linguistiques de la Tchécoslovaquie en 1930. Répartition ethnique: Tchèques (51%), Slovaques (16%), Allemands (22%), Hongrois (5%) et Ruthènes (4%).

Après l'accession au pouvoir d'Adolf Hitler en Allemagne, le chef pro-nazis des Sudètes Konrad Heinlein fonde le "Parti Nazi sudète" (SdP). En 1935, le SdP représente en importance le deuxième parti politique tchécoslovaque.

Après l'annexion de l'Autriche au Troisième Reich, Heinlein rencontre Hitler à Berlin le 28 mars 1938, pour recevoir de nouvelles instructions, et émet une série de revendications transmises au président Edvard Benes, le 24 avril suivant. Ces exigences sont connues sous le nom de "Programme Carlsbad". Heinlein demande surtout une "complète autonomie" des Allemands vivant en Tchécoslovaquie. Benes est d'accord pour accorder plus de droit aux germanophones, mais refuse catégoriquement de leur accorder l'autonomie. Dès lors, la situation politique entre l'Allemagne et la Tchécoslovaquie se détériore.

Ci-dessous: les principaux protagonistes de la Crise des Sudètes en 1938. De gauche à droite... Konrad Heinlein, chef du Parti Nazi des Sudètes. Edvard Benes, président tchécoslovaque. Adolf Hitler, chancelier du Troisième Reich.

Pour tenter de régler cette crise, la France et la Grande-Bretagne servent de médiateur. Le président du Conseil français, Edward Daladier, pense que les revendications des Sudètes sont justifiés, et avec son homologue britannique, Neville Chamberlain, fait pression sur le gouvernement de Bénès pour qu'il acceptent les revendications allemandes. Mais Bénès résiste et le 20 mai, décrète une mobilisation partielle de l'armée, face à une invasion allemande de plus en plus probable.

Le même jour, Hitler demande à ses généraux de mettre sur pied un plan d'attaque de la Tchécoslovaquie, le "Plan Vert" (Fall Grün). Le 28 mai, il fait accélérer la production navale, notament du premier des deux cuirassés Bismarck et Tirpitz (qui doit être lancé en 1940), et des deux cuirassés de poche (ou croiseurs de bataille) Scharnhorst et Gneisenau. Dix jours plus tard, Hitler signe une directive secrète pour l'invasion de la Tchécoslovaquie, avec comme date butoir le 1er octobre. Mais son principal conseiller, Fritz Wiedemann, craint que cette attaque ne fassent entrer la France et la Grande-Bretagne en guerre contre l'Allemagne.

Dans le même temps, la Grande-Bretagne envoit un médiateur à Prague, Lord Runciman, pour tenter de persuader Benès d'accepter les demandes des Sudètes.

En août, la presse allemande commence une campagne de désinformation, alléguant de prétendues attrocités commises par les Tchécoslovaques contre les Allemands des Sudètes, dans l'espoir de forcer la France et la Grande-Bretagne à faire pression sur Bénès pour qu'il acceptent les revendications allemandes. Hitler fait masser 750,000 soldats à la frontière germano-thécoslovaque, sous le couvert officiel de "manoeuvres".


2° La conférence de la "Dernière Chance".

Le 12 septembre 1938, à Nuremberg, Hitler annonce publiquement lors d'un grand rassemblement du Sportpalace, qu'il condamne fermement les "brutalités" du gouvernement tchécoslovaques envers les Allemands des Sudètes. Il accuse directement le président Bénès de vouloir "exterminer" les 600,000 Germanophones des Sudètes, et dénonce la tchécoslovaquie comme un "Etat inféodé à la France".

Le 13 septembre 1938, Chamberlain demande à Hitler la tenue en Allemagne d'une Conférence pour trouver une solution à la crise des Sudètes. Deux jours plus tard, une première entrevue se tient à Berchtesgaden. La rencontre dure trois heures, mais ne débouche sur rien et est ajournée, les protagonistes étant restés sur les positions.

Le 16 septembre 1938, Daladier se rend à Londres pour discuter avec Chamberlain sur une ligne de conduite commune à adopter. La situation politique en Tchécoslovaquie se dégrade et se complique encore, lorsque le gouvernement émet un mandat d'arrêt à l'encontre du chef des Sudètes, Heinlein. A Londres, les discussions entre Daladier et Chamberlain débouchent sur un plan d'action. Les deux ministres demandent au gouvernement de Bénès de céder le territoire des Sudètes à l'Allemagne, en échange de quoi ils garantissent la sécurité et l'intégrité du reste de la Tchécoslovaquie, face à d'éventuelles menaces futures de l'Allemagne.

Photo ci-dessous: en septembre 1938, l'armée tchécoslovaquie stationnée dans les Sudètes est mise en état d'alerte et patrouille dans les rues des villes.

Le 21 septembre 1938, le gouvernement tchécoslovaque cède finalement aux demandes formulées par l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. Mais suite à cela, Hitler formule de nouvelles exigences, demandant que les griefs des minorités germanophones de Pologne et de Hongrie soient également satisfaites.

Le 22 septembre 1938, Chamberlain se rend à Cologne pour essayer de clarifier les choses, Hitler menace quant à lui de "détruire la Tchécoslovaquie" et de rattacher les Sudètes à l'Allemagne. Bref c'est l'impasse totale.

Le 26 septembre 1938, Chamberlain envoit Sir Horace Wilson porter une lettre à Hitler, déclarant que la Grande-Bretagne et la France cherchent une solution diplomatique pour régler définitivement le problème des Sudètes. Plus tard, au cours de l'après-midi, Hitler réponde à cette lettre en tenant un discours au SportPalace de Nuremberg dans lequel il annonce qu'il va envoyer un ultimatum à la Tchécoslovaquie: celle-ci à jusqu'au 28 septembre à 14h pour annoncer son intention de céder les Sudètes à l'Allemagne. Faute de quoi, ce sera la guerre!

Le 28 septembre 1938, à 10h, quatre heures avant l'expiration de l'ultimatum allemand, l'ambassadeur britannique en Italie demande au Ministre des Affaires étrangères, Galeazzo Ciano, la tenue d'une réunion d'urgence. L'ambassadeur annonce à Ciano l'intention de Chamberlain de demander la médiation de Mussolini pour relancer les négociations et retarder l'ultimatum d'Hitler. A 11h, Ciano relaie la demande britannique au Duce, lequel la transmet sans tarder au Chancelier allemand. Hitler répond qu'il est d'accord, mais pose comme condition que l'Italie soit présente à cette Conférence.

La Conférence de Munich s'ouvre le 29 septembre 1938 vers 10h. Y participent donc le Président du Conseil des ministres français, Edouard Daladier, le Premier ministre britannique Neville Chamberlain, le Chancelier allemand Adolf Hitler, et l'Italien Benito Mussolini accompagné de son ministre des Affaires étrangères Galeazzo Ciano.

Photo ci-dessous: au premier plan de gauche à droite: Neville Chamberlain, Edouard Daladier, Adolf Hitler, Benito Mussolini et le comte Galeazzo Ciano.

La Conférence de Munich entre dans l'Histoire en brillant par sa brieveté: la signature des "Accords de Munich" s'effectue dans la nuit du 29 au 30 septembre 1938 à 1h30 du matin. Moins de seize heures après le début de la conférence!


3° Réactions internationales.

Par ces accords, la France et la Grande-Bretagne prétendent se justifier par "le profond réalisme avec lequel elles voient la situation allemande". En résumé, la France et la Grande-Bretagne cèdent sur tous les points aux prétentions d'Hitler. Et selon une des clauses des accords, l'Allemagne occupera militairement les Sudètes dans une date entre les 1er et 10 octobre, à une seule condition: qu'Hitler renonce à toute demande d'extension territoriale ultérieure.

Photo ci-dessous: A Munich, le 30 septembre, le président du Conseil des ministres français, Edouard Daladier, sert la main du ministre allemand des Affaires étrangères, Joachim von Ribbentrop.

La Tchécoslovaquie, à qui la France avait promis de protéger son intégrité territoriale, se retrouve seule, incapable militairement de résister à l'Allemagne, et est forcée d'accepter cet état de fait. Chamberlain et Daladier sont convaincus d'avoir mis en terme à l'expansionnisme allemand et surtout d'avoir "sauver la paix"! Leurs illusions et leur naïveté seront très rapidement démenties par les faits.

Photo ci-dessous: le 1er octobre 1938, les Germanophones des Sudètes accueillent en libérateur l'entrée des troupes allemandes en Tchécoslovaquie.

Abandonnée par ses alliés, la Tchécoslovaquie doit céder à l'Allemagne presque 30,000 km² de son territoire, avec 3.5 millions d'habitants, dont 2.8 millions de germanophones. Comme prévu par les accord, les Sudètes seront occupés presque aussitôt par Hitler, le 1er octobre, et annexé au Troisième Reich.

Et ce n'est pas tout! L'infortunée Tchécoslovaquie, après un second partage qui sera ratifié le 20 novembre, perdra d'autres territoires au profil de la Pologne (1,700 km² et 228,000 habitants) et de la Hongrie (20,000 km² et 772,000 habitants).

  1. Régions des Sudètes avec population germanophone: 30,000 km², 3.5 millions d'habitants dont 2.8 millions de germanophones.
  2. La Pologne annexe la région de Zaolzi: 1,700 km² et 228,000 habitants.
  3. La Hongrie occupe la région transfrontalière au sud de la Slovaquie.
  4. La Hongrie récupère également la région des Carpathes Ruthéniques. Au total: 20,000 km² et 772,000 habitants.
  5. Ce qui reste de la Tchécoslovaquie sera occupé à son tour par l'Allemagne le 15 mars 1939 et formera le "Protecterat de Bohême-Moravie".
  6. La Slovaquie proclamera son indépendance de la Tchécoslovaquie et deviendra un état pro-nazi le 14 mars 1939, avec à sa tête le germanophile Jozeph Tiso. Le SS Oberst-Gruppenführer Reinhard Heydrich, qui est déjà le chef suprême de la Gestapo et des forces de police allemandes, dirigera le Protectorat de Bohême-Moravie [Tchécoslovaquie] d'une main de fer du 27 septembre 1941 jusqu'au 27 mai 1942.

De telles cessions territoriales font perdre à l'économie tchécoslovaque une part importante de ses ressources minières et de son industrie.

Texte des Accords de Munich 1938 (en anglais)

"Germany, the United Kingdom, France and Italy, taking into consideration the agreement, which has been already reached in principle for the cession to Germany of the Sudeten German territory, have agreed on the following terms and conditions governing the said cession and the measures consequent thereon, and by this agreement they each hold themselves responsible for the steps necessary to secure its fulfilment:

  1. The evacuation will begin on 1st October.

  2. The United Kingdom, France and Italy agree that the evacuation of the territory shall be completed by the 10th October, without any existing installations having been destroyed, and that the Czechoslovak Government will be held responsible for carrying out the evacuation without damage to the said installations.

  3. The conditions governing the evacuation will be laid down in detail by an international commission composed of representatives of Germany, the United Kingdom, France, Italy and Czechoslovakia.

  4. The occupation by stages of the predominantly German territory by German troops will begin on 1st October. The four territories marked on the attached map will be occupied by German troops in the following order:
    • The territory marked No. I on the 1st and 2nd of October,
    • The territory marked No. II on the 2nd and 3rd of October,
    • The territory marked No. III on the 3rd, 4th and 5th of October,
    • The territory marked No. IV on the 6th and 7th of October.
    • The remaining territory of preponderantly German character will be ascertained by the aforesaid international commission forthwith and be occupied by German troops by the 10th of October.

  5. The international commission referred to in paragraph 3 will determine the territories in which a plebiscite is to be held. These territories will be occupied by international bodies until the plebiscite has been completed. The same commission will fix the conditions in which the plebiscite is to be held, taking as a basis the conditions of the Saar plebiscite. The commission will also fix a date, not later than the end of November, on which the plebiscite will be held.

  6. The final determination of the frontiers will be carried out by the international commission. The commission will also be entitled to recommend to the four Powers, Germany, the United Kingdom, France and Italy, in certain exceptional cases, minor modifications in the strictly ethnographical determination of the zones which are to be transferred without plebiscite.

  7. There will be a right of option into and out of the transferred territories, the option to be exercised within six months from the date of this agreement. A German-Czechoslovak commission shall determine the details of the option, consider ways of facilitating the transfer of population and settle questions of principle arising out of the said transfer.

  8. The Czechoslovak Government will within a period of four weeks from the date of this agreement release from their military and police forces any Sudeten Germans who may wish to be released, and the Czechoslovak Government will within the same period release Sudeten German prisoners who are serving terms of imprisonment for political offences.

"Munich, September 29, 1938.

ADOLF HITLER,

NEVILLE CHAMBERLAIN,

EDOUARD DALADIER,

BENITO MUSSOLINI."

Le 30 septembre 1938, les conséquences des Accords de Munich apparaissent déjà: l'Allemagne nazie se sent définitivement encouragée dans sa politique d'agression par la passivité des Alliés. Les "Munichois", qui regroupent la majorité des classes politiques françaises et britanniques, ont gagné.

Le soir, de retour à Londres, sur l'aérodrome d'Heston, dans la région londonienne, Chamberlain brandit le document signé par Hitler et déclare à la foule: "Mes bons amis, pour la seconde fois de notre histoire, un premier ministre britannique revient d'Allemagne apportant la paix dans l'honneur. Je crois que c'est la paix pour notre temps. Retournez à la maison et dormez paisiblement."

Et il n'hésite pas à affirmer que "le Führer est un gentleman et un homme sur qui l'on peut compter lorsqu'il a engagé sa parole!"

Dans la Chambre des Lords, au cours d'une réunion des ministres mémorable, Winston Churchill, alors "Lord de l'Amirauté" [Ministre de la Marine], déclare à Chamberlain: "Vous avez accepté le déshonneur pour avoir la paix. Vous aurez le déshonneur et la guerre."

En France, la presse titre à la une des journaux: "La Paix!"

Daladier atterrit au Bourget devant une foule enthousiaste. A sa sortie d'avion, le Président du Conseil, amère et lucide, ne peut s'empêcher de murmurer à l'oreille d'Alexis Léger, le secrétaire général du Quai d'Orsay: "Les cons! Ah les cons! S'ils savaient ce qui les attend..."

A l'Assemblée Nationale, seuls les Communistes protestent contre les Accords de Munich. Ce qui provoque la Chute officielle (dans les faits, c'était déjà le cas) du Front Populaire.

Photo ci-dessous: bâtiment historique de la Führerbau aujourd'hui, où ont été signés les "Accords de Munich" le 30 septembre 1938.


Sources principales:


Article modifié le 27 novembre 2018.

3 comments:

Revue said...

Merci pour cette piqûre de rappel à 70 ans de distance jour pour jour. C'est très bien expliqué!

Unknown said...

Félicitation pour cet article.
Pour revivre ces évènements je me permets de conseiller l'excellent roman de Georges-Marc Benamou: "Le fantôme de Munich"

Anonymous said...

Comme votre article me parait trop partial, j’en prend le contre-pied pour défendre les accords de Munich. Voici donc quelques unes des raisons que j’aurais évoqué à l’époque pour approuver leur signature :

A – Selon nos propres principes démocratiques, les Sudètes ne réclament que leur droit. Pourquoi donc faire la guerre pour s’opposer à ce qu’un peuple détermine souverainement à qui il veut être rattaché ? D’autant plus qu’en 1938, la Tchécoslovaquie apparaît déjà comme un Etat artificiel formé de deux peuples qui ne s’entendent même pas…..

B – Attendez donc que l’Allemagne et la Russie s’appauvrissent mutuellement ! En 1938, quel est donc l’adversaire le plus immédiatement dangereux entre une Allemagne hitlérienne et une Russie stalinienne (qui dispose en plus d’un Parti allié dans chaque pays) ? Il est certain que ces deux nations extrêmes opposées vont immanquablement s’affronter, et que nos démocraties vieillissantes n’ont plus qu’à attendre que leur conflit les appauvrisse tout deux.. Pourquoi anticiper ?!!


C – Attendons l’immanquable intervention américaine ! Depuis la guerre de 14-18, le Royaume Uni et la France ne sont plus que des puissances vieillissantes. Il est donc évident que la stratégie de domination mondiale de l’Axe Japon-Allemagne a pour principal ennemi la puissance montante : les USA.
Attendons que les USA soient prêts à venir combattre avec nous. Pour l’instant, - avec le souvenir de notre occupation de la Rhur, et notre ancien gouvernement de Front Populaire-, nous ne sommes pas très populaires aux Etats-Unis!


D- Nous ne sommes pas prêts à intervenir, et tout se passe dans les pires conditions : La France avait des préoccupations sociales, - et non militaires- , sous le Front populaire. Il lui faut rattraper deux à trois ans de retard. L’armée terrestre anglaise est quasi inexistante. Et en plus, tout les états limitrophes de la Russie refusent le passage des troupes soviétiques ce qui ne nous permet pas d’attaquer sur deux fronts !!!

Bruno BROC ('brocexco')