19-20 juin 1944 - Bataille de la Mer des Philippines: le "Grand Tir au Pigeons des Mariannes"

Le "Grand Tir aux Pigeons des Mariannes", ou "Great Marianas Turkey Shot", est un épisode célèbre de la Bataille de la Mer des Philippines qui s'est déroulé les 19 et 20 juin 1944. Les pilotes de l'aéronavale américaine appeleront ainsi l'hécatombe de l'aviation embarquée du vice-amiral Jisaburo Ozawa: environ 400 avions japonais abattus au cours du plus grand combat aérien de la Guerre du Pacifique, pour le prix de seulement 29 chasseurs américains perdus.



Bataille de la Mer des Philippines (19-20 juin 1944).

A Tokyo, le 15 juin 1944, en prenant connaissance du débarquement américain sur Saipan (1), l'amiral japonais Soemu Toyoda, qui a remplacé l'amiral Mineichi Koga au commandement de la flotte combinée, met en route l'opération A-Go, un plan qui consiste à jeter tout ce que la marine impériale alligne encore contre la flotte américaine dans les îles Mariannes. La flotte combinée japonaise appareille donc de Tawi-Tawi, à Bornéo, et de Samar, aux Philippines, où elle a trouvé refuge après les attaques de la Task Force TF58 du vice-amiral Marc Mitscher sur le lagon de Truk, et fait route vers Saipan par la Mer des Philippines, pour se mesurer à la 5ème Flotte de l'amiral Raymond Spruance.


Deux sous-marins américains en patrouille, l'Albacore et le Cavalla, repèrent l'escadre de porte-avions d'escadre du vice-amiral Jisaburo Ozawa, la "Force-A" et en avertissent Spruance, qui arrête ses opérations aériennes contre Guam et les îles Bonin le 16 juin, pour se lancer à l'assaut des porte-avions ennemis.

Le 19 juin 1944 au matin, les deux flottes aéronavales s'affrontent.


C'est la "Bataille de la Mer des Philippines". L'avant-garde japonaise d'Ozawa, composée des trois porte-avions lourds de la "Force-A", est suivie par deux autres escadres, avec deux porte-avions lourds et quatre porte-avions légers, les "Force-B" et "Force-C", commandées respectivement par le contre-amiral Takaji Yoshima et le vice-amiral Takeo Kurita. Les neufs porte-avions japonais engagés regroupent au total 373 avions embarqués A6M5c Zeke, B5N Kate, B6N Jill et D4Y Judy. L'ensemble de la flotte est commandé par l'amiral Soemu Toyoda, à Tawi-Tawi.

2ème Flotte japonaise. Amiral Soemu Toyoda.

• "Force-A". Vice-amiral Jisaburo Ozawa.
  • 3 porte-avions lourds: Taiho, Shokaku et Zuikaku.
  • 2 croiseurs lourds: Myoko et Haguro.
  • 1 croiseur léger: Yahagi.
  • 8 destroyers: Asagumo, Urakaze, Isokaze, Tanikaze, Akizuki, Hazuzuki, Wakazuki et Shimozuki.

• "Force-B". Contre-amiral Takaji Yoshima.
  • 2 porte-avions lourds: Hiyo et Junyo.
  • 1 porte-avions léger: Ryuho.
  • 1 cuirassé: Nagato.
  • 1 croiseur lourd: Mogami.
  • 8 destroyers: Hayashimo, Akishimo, Samidare, Shigure, Harusame, Mizishio, Yamagumo et Nowaki.

• "Force-C". Vice-amiral Takeo Kurita.
  • 3 porte-avions légers: Zuiho, Chitose et Chiyoda.
  • Aviation embarquée: 63 A6M5c Zeke, 9 B6N Jill et 18 B5N Kate.
  • 4 cuirassés: Yamato, Musashi, Kongo et Haruna.
  • 8 croiseurs lourds: Atago, Takao, Maya, Chokai, Chikuma, Tone, Kumano et Suzuya.
  • 9 destroyers: Kishinami, Tamanami, Shimakaze II, Hamakaze, Naganami, Okinami, Asashimo, Hamanami et Fujinami.

• Force de ravitaillement.
  • 6 destroyers: Hibiki, Tsuga, Yunagi, Hazushimo, Yukikaze et Uzuki.
  • 6 pétroliers: Hayasui, Niziei Maru, Seiyo Maru, Kokuyo Maru, Azusa Maru et Genyo Maru.

Ozawa peut également compter sur l'appui de l'aviation navale japonaise basée à terre, sur les aérodromes de Guam et Tinian. Environ 300 avions commandés par le vice-amiral Kakuji Kakuta.

En face, les quinze porte-avions d'escadre de la Task Force TF58, sept lourds (CV) de classe Essex et huit légers (CVL) de classe Independence, avec environ 900 avions à leur bord, commandés par le vice-amiral Marc Mitscher, à bord de son navire de commandement: le porte-avions Lexington II.

Photos ci-dessous: 1° Porte-avions d'escadre lourd de classe Essex, ici l'USS Intrepid (CV-11) en novembre 1944 dans la Mer des Philippines. 2° ¨Porte-avions d'escadre léger de classe Independence, ici l'USS Independence (CVL-22) le 15 juillet 1943 dans la Baie de San Francisco.



• Task Group TG.58.1. Contre-amiral Joseph J. "Jocko" Clark.
  • 2 porte-avions d'escadre lourds (CV): Yorktown II, Hornet II.
  • 2 porte-avions d'escadre légers (CVL): Belleau Wood, Bataan.
  • 3 croiseurs lourds (CA): Boston, Canberra, Baltimore.
  • 2 croiseurs légers AA (CLAA): Oakland, San Juan.
  • 14 destroyers (DD): Izard, Bell, Burns, Conner, Charrette, Boyd, Bradford, Brown, Cowell, Maury, Craven, Gridley, Helm, McCall.

• Task Group TG.58.2. Contre-amiral Alfred E. Montgomery.
  • 2 porte-avions d'escadre lourds (CV): Bunker Hill, Wasp II.
  • 2 porte-avions d'escadre légers (CVL): Monterey, Cabot.
  • 3 croiseurs légers (CL): Santa Fe, Mobile, Biloxi.
  • 12 destroyers (DD): Miller, Owen, Stephen Potter, The Sullivans, Tingey, Hickox, Hunt, Lewis Hancock, Marshall, MacDonough, Dewey, Hull.

• Task Group TG.58.3. Contre-amiral John W. "Black Jack" Reeves.
  • 2 porte-avions d'escadre lourds (CV): Enterprise, Lexington II.
  • 2 porte-avions d'escadre légers (CVL): Princeton, San Jacinto.
  • 1 croiseur lourd (CA): Indianapolis.
  • 3 croiseurs légers (CL): Montpelier, Cleveland, Birmingham.
  • 13 destroyers (DD): Clarence Bronson, Ingersoll, Dortch, Gatling, Caperton, Healy, Cogswell, Cotten, Knapp, Anthony, Wadsworth, Terry, Braine.

• Task Group TG.58.4. Contre-amiral William K. "Keen" Harrill.
  • 1 porte-avions d'escadre lourd (CV): Essex.
  • 2 porte-avions d'escadre légers (CVL): Cowpens, Langley II.
  • 3 croiseurs légers (CL): Vincennes, Miami, Houston.
  • 1 croiseur léger AA (CLAA): San Diego.
  • 14 destroyers (DD): Lansdowne, Lardner, McCalla, Case, Lang, Sterett, Wilson, Ellet, Charles Ausburne, Stanly, Dyson, Spence, Converse, Thatcher.

• Task Group TG.58.7. Contre-amiral Willis A. Lee.
  • 7 cuirassés (BB): Washington, North Carolina, Iowa, New Jersey, South Dakota, Alabama, Indiana.
  • 4 croiseurs lourds (CA): Wichita, Minneapolis, New Orleans, San Francisco.
  • 14 destroyers (DD): Mugford, Conyngham, Bagley, Patterson, Guest, Selfridge, Halford, Fullam, Hudson, Bennett, Yarnall, Monssen, Twining, Stockham.

Le 19 juin 1944, à 5h30 du matin, un avion de reconnaissance Zeke parti de Guam détecte la Task Force TF58, et communique le renseignement aux porte-avions de Toyoda. Les Japonais font décoller sans tarder des porte-avions 325 bombardiers-torpilleurs, bombardiers en piquée et chasseurs d'escorte, qui se présenteront en quatre vagues successives pour détruire les porte-avions américains. La première vague, 68 avions lancés, est interceptée par les Hellcat du Belleau Wood au environs de 10h à 220km à l'ouest de la TF58. La plus grande bataille aéronavale de la guerre débute. Elle durera plus de quatre heures.

A 11h07, les "destroyers-piquet" américains, équipés de radars, détectent la seconde vague d'attaque nippone, deux fois plus importante que la première. Elle est interceptée à 97km à l'ouest de la TF58. 97 avions sont abattus avant d'atteindre les navires américains. Des bombardiers lancent des torpilles contre le porte-avions lourd Enterprise et le porte-avions léger Princeton, mais sans résultat, les deux navires visés les évitent toutes et leur DCA abattent les attaquants.

La troisième vague, qui compte 47 avions, est interceptée par 40 Hellcat vers 13h, à 40km à l'ouest des porte-avions américains. 7 bombardiers japonais sont abattus, et les autres s'acharnent contre le Task Group aéronaval de l'Enterprise.

La quatrième et dernière vague d'attaque est lancée entre 11h et 11h30. Mais les pilotes ayant reçu une position incorrect de la Task Force américaine, ils ne peuvent la localiser. Les bombardiers japonais se séparent alors en deux groupes et retournent faire le plein de carburant à Guam et Rota. Le groupe faisant route vers Rota localise sur le chemin du retour le Task Group TG.58.2 de Montgomery, et 18 bombardiers japonais attaquent les porte-avions Wasp et Bunker Hill. Quelques bombes tombent à proximité du Bunker Hill, mais sans l'atteindre. Parmis ce groupe, 24 avions sont ensuite abattus par la DCA et les chasseurs de protection (CAP) américains. Le premier groupe japonais (49 avions) qui se dirige vers Guam est intercepté alors qu'ils se posent sur la base d'Orote, et 30 d'entre-eux sont détruits.

A bord du Lexington, un des spectateurs des combats aériens dans le ciel ne peut s'empêcher de s'exclamer: "Bon Sang, c'était comme le tir aux pigeons". Sans savoir que son expression passera bientôt à la postérité. Le tableau récapitulatif des quatre assauts japonais:

    - 1er vague (10h): 68 avions lancés, 42 abattus.
    - 2ème vague (11h): 128 avions lancés, 97 abattus.
    - 3ème vague (13h): 47 avions lancés, 7 abattus.
    - 4ème vague (14h): 82 avions lancés, 54 abattus.

Dans cette bataille, les Américains ont disposé de trois atouts maîtres. D'abord la supériorité qualitative: les pilotes américains sont devenus plus expérimentés que leurs homologues japonais depuis la bataille de Midway. Ensuite, l'avantage technologique: l'aviation embarquée américaine de 1944 n'a plus rien à voir avec celle de fin 1941. Les F4F Wildcat et TBD Devastator ont cédé leur place à de nouveaux type d'avions. Désormais, ses nouveaux chasseurs Grumman F6F Hellcat surclassent dans tous les domaines les avions japonais et s'adjugent la maîtrise aérienne absolue dans le Pacifique.


Pour finir, Spruance dispose d'une arme que n'ont pas les Japonais: le radar embarqué et les "destroyers-picket" de veille et d'alerte, donc d'une DCA et d'une détection accrue et plus efficace. Sans surprise, les attaques aériennes japonaises se sont transformées en un véritable désastre: au cours du plus grand combat aérien de la guerre du Pacifique, qui dure plus de quatre heures, 343 avions embarqués et terrestres japonais sont abattus par l'aviation embarquée américaine, qui ne perd que 23 des siens.


Les Américains ne perdent eux-mêmes dans cet affrontement que 29 avions. Après cette bataille mémorable, les pilotes de l'US Navy ne tardent pas à repprendre l'expression d'origine et à surnommer cette hécatombe d'avions japonais Great Marianas Turkey Shoot, le "Grand Tir aux pigeons des Mariannes" en français.








Les deux sous-marins américains qui ont repéré la "A-Force" coulent les trois porte-avions d'escadre d'Ozawa.

A 15h05, le porte-avions japonais Taiho est touché le premier par deux torpilles de l'Albacore du lieutenant-commander James W. Blanchard.

Puis, à 15h30, c'est le tour des porte-avions Shokaku et Zuikaku, touchés par des torpilles provenant du Cavalla, commandé par le lieutenant-commander Herman J. Kossler.

Du côté américain, les porte-avions d'escadre Bunker Hill et Wasp, ainsi que les cuirassés South Dakota et Indiana, sont les seuls navires américains à subir des dommages... très minimes.


La "Force-A" d'Ozawa, mise hors de combat, fait demi-tour, mais il reste encore les deux escadres de Yoshima et de Kurita, avec six porte-avions. Malgré l'heure avancée (presque 16h), Mitscher tente un coup de poker et lance 85 Hellcat, 77 Dauntless et Helldiver, et 54 Avenger, contre les navires japonais, à plus de 480km de distance de sa TF58. Alors que le soleil se couche, les avions américains arrivent en vue des six porte-avions légers japonais. Les avions embarqués de Mitscher coulent le porte-avions léger Hiyo et le pétrolier Genyo Maru, endommagent les porte-avions légers Chiyoda et Chitose, le cuirassé Haruna, le croiseur lourd Maya, les destroyers Samidare et Shigure. Ils détruisent ce qui reste de l'aviation embarquée japonaise.

Mais après cette victoire (20h45), les avions américains sont obligés de revenir sur leurs porte-avions après la tombée du jour. Alors que les Américains n'ont perdu que 23 avions en combat aérien la veille, 80 autres s'écrasent à l'appontage ou se perdent et tombent dans l'océan, à court de carburant. Pour tenter de guider les équipages affolés et en difficulté et arrêter l'hécatombe, Mitscher prend un risque calculé, et donne alors un ordre incroyable, jamais vu dans les annales de la guerre navale: au mépris des attaques sous-marines ou aériennes ennemies, il fait allumer tout les feux des navires et illuminer son escadre "comme un sapin de noel".

Ce qui permet de limiter les dégâts: sur les 209 aviateurs américains disparus en mer dans la nuit du 19 au 20 juin, 160 seront récupérés et sauvés à l'aube.

Les Japonais se retrouvent désormais avec uniquement six porte-avions légers, dont trois endommagés, et plus aucune aviation embarquée. Sur les 373 avions embarqués d'Ozawa, seuls 35 survivront à cette bataille mémorable. Ainsi qu'une centaine d'avions terrestres de Kakuta, soit un tier des effectifs initiaux.

Les Américains ont perdu durant cette "Bataille de la Mer de Philippines", au total, 123 avions. Les Japonais, environ 600 avions embarqués et terrestres détruits, trois porte-avions d'escadre lourds, un porte-avions léger et un pétrolier coulés, deux autres porte-avions légers, un cuirassé, un croiseur lourd et deux destroyers endommagés. Le Grand Tir aux Pigeons des Mariannes sonne le glas de l'aéronavale japonaise.


(1) Blogosphère Mara: 15 juin 1944 - Pacifique Central: conquête des îles Mariannes


Série documentaire "Grandes Batailles de la Seconde Guerre mondiale"
(Henri de Turenne et Daniel Costelle) - Vidéo Youtube.


"Les Grandes Batailles" est une série d'émissions télévisées historiques de Daniel Costelle, Jean-Louis Guillaud et Henri de Turenne diffusée à la télévision française dans les années 1960 et 1970, qui décrit les principales batailles de la Seconde Guerre mondiale ainsi que le procès de Nuremberg. Les émissions donnent la parole aux officiers ayant participé à ces batailles ainsi qu'à des historiens. Ces interventions alternent avec des extraits de reportages. Les commentaires sont d'Henri de Turenne.


"Bataille du Pacifique - 2ème Partie: la reconquête" (1943-1945).

7 décembre 1941. L'agression japonaise contre la base aéronavale américaine de Pearl Harbor entraîne les Etats-Unis dans une bataille à mort sur le plus vaste théâtre d’opérations de l'histoire. Avide de conquêtes et de matières premières, le Japon instaure sa domination sur l'Asie, jusqu'à la victoire américaine de Midway du printemps 1942, qui sonne l'heure du reflux. Les archives des forces alliées et japonaises restituent l'irrésistible ascension japonaise et cet affrontement aéronaval spectaculaire. Ce documentaire montre chaque étape de la bataille du Pacifique: de la sauvagerie des combats sur les plages et dans la jungle des îles du Pacifique à l'apocalypse nucléaire qui s'abat sur le Japon en août 1945.













Article modifié le 16 juin 2016.


Sources principales:
The Great Marianas Turkey Shot (Wikipedia.org)
Bataille de la Mer des Philippines (Wikipedia.org)

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