Les 6 et 9 août 1945, l'aviation stratégique américaine basée dans les îles Mariannes effectue deux "missions spéciales" au-dessus du Japon. Auparavant, le Japon avait décidé d'ignorer simplement l'ultimatum adressé par le président Harry Truman à la fin de la Conférence de Potsdam. Le 14 août, après deux jours de débats houleux, le gouvernement japonais accepte enfin les termes de la "Déclaration de Potsdam" et capitule. L'empereur Hiro-Hito annonce à la radio qu'il va personnellement mettre un terme "aux malheurs et souffrances de son peuple". Le bombardement atomique d'Hiroshima et de Nagazaki met ainsi définitivement fin à la Seconde Guerre Mondiale.
Historique du développement.
Manhattan Project est le nom de code du programme américain de développement de la bombe atomique durant la Seconde Guerre mondiale. Developpé à partir de 1942 dans le Manhattan Engineer District (MED), le gigantesque complexe d'Oak Ridge (Tennessee), et placé sous le contrôle du Corps d'ingénieurs de l'US Army dirigé par le général Leslie R. Groves, assisté du physicien Robert Oppenheimer, ce projet a été initié suite à la lettre d'Albert Einstein et de Leo Szilard, en 1939, mettant en garde les Etats-Unis contre le programme nucléaire de l'Allemagne nazie.
Photo ci-dessous: le général Leslie R. Groves (à gauche) et le physicien Robert Oppenheimer (à droite), les deux responsables militaire et civil du Projet Manhattan.
Le projet Manhattan débouche finalement sur la conception et la réalisation des trois premières bombes atomiques de l'Histoire. La première, au plutonium et baptisée Gadget, est testée avec succès le 16 juillet 1945 dans le désert du Nouveau-Mexique, près de la ville d'Alamogordo. Nom de code de l'expérience: Trinity. Les deux autres, Little Boy ("Petit Garçon") à l'uranium et Fat Man ("Gros Lard") au plutonium, sont destinées à être employé contre le Japon.
1° Découverte de la fission nucléaire et de la réaction en chaîne.
Les premières décennies du vingtième siècle sont marqués par des changements radicaux dans la compréhension de la physique des atomes, comme la découverte du noyau, l'émission de radiations, la division du noyau dans une réaction en chaîne menant à la libération massive d'énergie (fission nucléaire), etc.
En 1933, le physicien danois Niels Bohr, tirant ses conclusions des recherches et travaux de Max Planck et Ernest Rutherford, a développé un modèle de l'atome. C'est un modèle planétaire: un petit mais dense noyau, contenant des protons et des neutrons, représente la plus grande partie de la masse de l'atome. Autour de ce noyau gravitent des électrons.
Des scientifiques mettent au point de nouveaux instruments, comme le cyclotron ou d'autres accélérateurs de particules, qui permettent de découvrir de nouveaux éléments, comme les radio-isotopes (Carbone-14).
L'étude sur le phénomène de la radioactivité commence en 1896, avec la découverte du minerai d'uranium par Henri Becquerel, suivie des travaux de Pierre et Marie Curie sur le radium. Leurs recherches mettent en évidence le fait que les atomes, de nature auparavant connue comme stable et indivisible, peuvent libérer d'énorme quantités d'énergie.
En 1919, Ernest Rutherford réalise les premières fissions nucléaires en bombardant l'azote avec des particules alpha émises à partir d'une source radioactive.
Les progrès dans le contrôle et la compréhension de la fission nucléaire s'accélèrent encore pendant les années trentes, quand les manipulations sur le noyau deviennent possibles.
En 1932, Sir John Cockcroft et Ernest Walton deviennent les premiers scientifiques à "casser" l'atome (provoquant ainsi une réaction nucléaire) en utilisant des particules artificielles accélérées.
En 1933, le physicien hongrois Leo Szilard émet l'idée qu'un neutron, en bombardant le noyau, libère d'autres neutrons, qui à leur tour, obtiennent d'autres bombardements et de fissions. Et ainsi de suite... C'est le principe de la "réaction en chaîne".
En 1934, Frédéric et Irène [la fille de Pierre et Marie] Joliot-Curie découvrent que la radioactivité artificielle peut-être induite dans les éléments stables en les bombardant avec des particules alpha. La même année, le physicien italien Enrico Fermi obtient des résultats similaires en bombardant des atomes d'uranium avec des neutrons (découverts en 1932), mais il ne réalise pas tout de suite la portée de sa découverte.
En décembre 1938, Otto Hahn et Fritz Straussmann publient en Allemagne leurs résultats expérimentaux sur le bombardement des atomes d'uranium avec des neutrons. Ils démontrent que ce bombardement de neutrons produisent un isotope de barium.
Peu de temps après, leur collègue autrichienne Lise Meitner, alors réfugiée politique en Suède, et son neveu Otto Robert Frisch inteprètent les résultats de deux Allemands comme la fission du noyau après l'absorbtion d'un neutron, libérant une phénoménale quantité d'énergie et d'autres neutrons.
Le 16 janvier 1939, Niels Bohr quitte le Danemark et se rend aux Etats-Unis pour participer à un colloque à l'Université de Princeton (Californie). Peu avant son départ, Lise Meitner et Otto Frisch lui ont fait part des conclusions de leurs travaux sur la fission nucléaire. Bohr a promis de les garder secrètes jusqu'à ce qu'ils publient un article afin de leur assurer la priorité, mais à bord du navire qui le conduit à New York, il en parle avec son ami et physicien belge Leon Rosenfeld, en oubliant de lui demander de respecter le secret.
Dès son arrivée aux Etats-Unis, Rosenfeld en parle à tous les physiciens de Princeton, et la nouvelle se répand ainsi à d'autres scientifiques comme Enrico Fermi, à l'Université de Columbia (Manhattan, NY). Les conversations entre Fermi, John R. Dunning et George B. Pegram débouchent sur la recherche à Columbia des rayonnements ionisants produits par les fragments du noyau d'uranium.
Pendant que se produisent ces découvertes scientifiques, la situation politique change et se déteriore en Europe, et particulièrement en Allemagne. Adolf Hitler est devenu chancelier en 1933. Son idéologie raciste et ses lois antisémites forcent beaucoup de scientifiques, dont une majorité de Juifs, à fuir l'Europe vers les Etats-Unis. C'est le cas de Leo Szilard, Edward Teller et Eugen Wigner (hongrois), Leon Rosenfeld (belge), et Albert Einstein (allemand).
2° Lettre d'Einstein et de Szilard.
Aux Etats-Unis, les physiciens nucléaires Leo Szilard, Edward Teller et Eugene Wigner sont convaincus que l'énergie libérée par la fission nucléaire peut être utilisée dans des bombes par l'Allemagne nazie. Ils persuadent Albert Einstein, alors l'un des plus célèbres scientifiques et lui aussi réfugié juif, d'avertir de ce danger le Président Franklin Delano Roosevelt dans une lettre datée du 2 août 1939, dont Szilard rédige le brouillon. Cette lettre fait état de la possibilité de créer des bombes d'une puissance encore inconnue : "des bombes d'un nouveau type et extrêmement puissantes pourraient être assemblées."
Le texte laisse présager que la Belgique serait un précieux allié pour obtenir de grandes quantités d'uranium: "les sources les plus importantes se trouvent au Congo belge."
Einstein demande l'appui de Roosevelt, pour que le gouvernement "porte une attention particulière à la préservation de l'approvisionnement en uranium" et qu'il soutienne la recherche sur ce domaine "qui n'est à présent accompli que dans les limites des budgets des laboratoires universitaires". Il fait également part de ses craintes au sujet de l'embargo allemand sur les ventes d'uranium tchécoslovaque, et où "le fils du sous-secrétaire d'Etat allemand, Ernst von Weizsäcker, est attaché à l'Institut du Kaiser Wilheim" qui travaille sur ces problèmes.
Après le bombardement d'Hiroshima, Einstein déclarera regretter amèrement d'avoir envoyé cette lettre: "I could burn my fingers that I wrote that first letter to Roosevelt". ("J'aurais dû me brûler les doigts plutôt que d'écrire cette lettre à Roosevelt").
3° "Comité de l'Uranium".
Après la lettre d'Einstein et de Szilard, le président Franklin D. Roosevelt invite Lyman James Briggs, ingénieur travaillant au National Bureau of Standards, à prendre la direction du nouveau "Comité de l'Uranium" (S-1 Uranium Comittee).
Très vite, quatre aspects du problème, considérés comme critiques, se posent:
Les rapports de recherche britanniques sont envoyés à Briggs, mais ils sont ignorés. Un des membres du Comité MAUD, Mark Oliphant, se rend aux Etats-Unis à la fin du mois d'août 1941 pour découvrir pourquoi les Américains ignorent ainsi les conclusions des rapports britanniques. Il rapportera que "cet homme begayant et peu convainquant [Briggs] avait simplement rangé les rapports en question dans son coffre-fort sans les communiquer aux membres de son comité."
Oliphant rencontre ensuite tous les membres du Comité de l'Uranium et d'autres physiciens pour les exhorter et les galvaniser dans leurs recherches. En conséquence, en décembre 1941 Vannevar Bush, ingénieur et conseiller scientifique du président Franklin Roosevelt, créé le "Bureau de Recherche et de Dévelopement Scientifique", Office of Scientific Research and Development (OSRD), une agence fédérale chargée d'accélérer et de coordonner les recherches scientifiques à des fins militaires.
Photo ci-dessous: le Comité de l'Uranium, le 13 septembre 1942 à Bohemian Grove. De gauche à droite, Harold C. Urey, Ernest O. Lawrence, James B. Conant, Lyman J. Briggs, E. V. Murphree et Arthur Compton.
4° Naissance du projet Manhattan et accélération des travaux.
Maintenant que le projet nucléaire américain est sous le contrôle de l'OSRD, ses travaux commencent effectivement à s'accélérer. Le physicien Arthur Compton ouvre le "Laboratoire de Métallurgie de l'Université de Chicago" au début de l'année 1942, pour étudier le plutonium et la pile à fission, l'ancêtre du réacteur nucléaire d'aujourd'hui. Il charge également Robert Oppenheimer, de Berkeley en Californie, de mener des travaux sur les calculs de "neutrons rapides", étape indispensable aux calculs sur la "masse critique" et la réaction en chaîne entraînant l'explosion de l'arme.
C'est véritablement le début du "Project Manhattan", du nom du gigantesque complexe scientifique d'Oak Ridge, dans le Tennessee: Manhattan Engineer District (MAD). Le colonel Leslie R. Groves (il sera promu brigadier-général en septembre 1942), le commandant du Corps d'ingénieur de l'US Army, prend la direction du Projet Manhattan. John Manley, un physicien du Laboratoire de Métallurgie de Chicago, est désigné pour assister Oppenheimer en coordonnant et assurant le contact entre les différents groupes de travail dispersés à travers tous les Etats-Unis.
Ci-dessous: complexe scientifique et le laboratoire national de recherche scientifique d'Oak Ridge (Tennessee), qui sert au cours de la Seconde Guerre mondiale de Quartier-Général au Projet Manhattan.
Durant le printemps 1942, Oppenheimer et Robert Serber, physicien travaillant à l'Université de l'Illinois, travaillent sur le problème de la diffusion des neutrons (comment ceux-ci se déplacent pendant la réaction en chaîne) et de l'hydrodynamique (comment l'explosion engendrée par la réaction en chaîne se comporterait).
Pour passer en revue tout ce travail et la théorie générale sur les réactions de fission, en juin 1942, Oppenheimer réunit un groupe d'étude d'été à l'Université de Berkeley, en Californie. Les théoriciens Hans Bethe, John Van Vleck, Edward Teller, Felix Bloch, Emil Konopinski, Robert Serber, Stanley S. Frankel et Eldred C. Nelson, les trois derniers sont des anciens étudiants d'Oppenheimer, confirment rapidement qu'une fission de l'atome est faisable.
Il reste cependant beaucoup de facteurs inconnus dans le développement de la bombe atomique. Les propriétés de l'uranium-235 pur sont encore assez mal connues, de même que celles du plutonium, un nouvel élément découvert en février 1941 par Glenn Seaborg et son équipe.
Le plutonium-239 est un produit de l'uranium-238 absorbant un neutron émis lors de la fission d'un atome d'uranium 235, et peut ainsi être créé dans un réacteur nucléaire. Mais à ce moment, auncun réacteur n'a encore été construit, ainsi bien que le plutonium soit recherché comme substance fissible additionnel, seul une très petite quantité (quelques microgrammes) existe, produite par des neutrons dérivés de la réaction débutée dans un cyclotron.
Les scientifiques réunis à Berkeley déterminent qu'il existe plusieurs manières possibles d'obtenir la masse critique. La plus simple étant la technique dite de l'"insertion" ou encore du "pistolet". Pour déclencher l'explosion, on projette un bloc de matière fissile contre un autre bloc similaire, ou mieux, un bloc cylindrique à l'intérieur d'un bloc creux.
Le bloc de matière fissile est projeté grâce à un explosif très puissant (cordite). L'inconvénient de cette technique est que, bien que le stade sur-critique soit atteint rapidement (une milliseconde) elle ne l'est pas assez pour du plutonium-239, dégageant spontanément des neutrons, ce qui amorce l'explosion prématurément.
C'est pourquoi cette technique de l'insertion ne sera utilisé que pour la bombe à uranium-235 larguée sur Hiroshima. Le fait que cette technique sera employée sans essai préalable, contrairement au type de bombe à implosion utilisé à Nagazaki, montre à quel point ce mode de fonctionnement est sûr et relativement facile à maîtriser.
Schéma ci-dessous: structure d'une bombe par insertion de type Little Boy (Hiroshima).
Suggérée par le physicien mathématicien Richard C. Tolman, les scientifiques de Berkeley étudient également une conception "sphérique", une technique qui augmente l'efficacité de la bombe pendant son explosion.
La technique de l'"implosion" est plus complexe à mettre en oeuvre. Elle consiste à rassembler la matière fissile disposée en boule creuse, puis à la comprimer de manière à augmenter sa densité et atteindre une configuration super-critique qui déclenchera la réaction nucléaire, et donc l'explosion.
Sa mise en oeuvre est très délicate: la compression de la matière fissile est réalisée à l'aide d'un explosif très puissant, 60% de RDX et 39% de TNT, disposé tout autour. Mais la détonation de ces explosifs est déclenchée par une ensemble de détonateurs qui doivent être rigoureusement synchronisés.
De plus, chaque explosion a tendance à créer une onde de choc sphérique, centrée sur le détonateur. Or on doit obtenir une onde de choc aboutissant simultanément à tous les points externes de la matière fissile, que l'on peut imaginer comme une boule creuse. Ces ondes de choc doivent se déformer pour passer de sphères centrées à l'extérieur, à une sphère de centre commun. On aboutit à ce résultat en utilisant des explosifs où l'onde de choc se déplace à des vitesses différentes, ce qui amène à sa déformation. L'usinage des formes de ces explosifs doit être réalisé avec une extrême précision à l'aide de lentilles optiques.
Un problème semblable se pose avec le plutonium, qui peut revêtir plusieurs états ou phases avec des caractéristiques mécaniques différentes, et qui a donc tendance à devenir hétérogène, ce qui aboutirait à une déformation de l'onde de choc. On y remédie comme dans la métallurgie du fer: par l'addition de faibles quantités d'un autre éléments, souvent le gallium.
La technique de l'implosion permet d'atteindre le stade super-critique bien plus rapidement que celle par insertion. Par implosion, le délai est de l'ordre de deux à trois microsecondes, soit cent fois plus rapide que par insertion. Cette technique permet donc d'utiliser le plutonium-239 comme matière fissile, au lieu de l'uranium-235.
On peut encore améliorer le rendement et/ou diminuer la masse critique en plaçant entre l'explosif et la matière fissile diverses couches qui peuvent, soit avoir un effet mécanique par leur inertie ou en étalant dans le temps l'onde de choc, prolongeant ainsi l'explosion, soit ralentir la perte de neutrons.
La première bombe atomique de l'Histoire testée le 16 juillet 1945, Gadget, et la troisième, Fat Man, larguée sur Nagazaki, contiennent du plutonium-239 et utilisent la technique de l'implosion.
Considérant le principe de la bombe à fission nucléaire comme définitivement réglée, au moins jusqu'à ce que de plus amples données d'experimentation soient disponibles, la réunion de Berkeley prend des directions divergentes.
Le physiciens hongrois Edward Teller veut poursuivre les travaux vers la conception d'une bombe beaucoup plus puissante baptisée Super, qui utiliserait la force explosive d'une bombe à fission pour entraîner une réaction de fusion de deuterium et de tritium. Ce concept est basé sur les études sur la production d'énergie réalisées par Hans Bethe avant la guerre, et suggéré comme une possibilité à Teller par Enrico Fermi, peu de temps avant l'ouverture de la réunion.
C'est le principe de la bombe à Hydrogène. Lorsque l'onde de choc de la bombe à fission est déplacée à travers le mélange de noyaux de deutérium et de tritium, ceux-ci doivent fusionner pour produire beaucoup plus d'énergie que la fission.
Mais Bethe est sceptique. Et lorsque Teller insiste pour poursuivre son idée de "Super-Bombe", Bethe refuse systématiquement ses propositions les unes après les autres. Finalement, cette idée de bombe à fusion (Bombe H) est écartée et mise au placard, et les physiciens se concentrent sur la poursuite de la réalisation de la bombe à fission (Bombe A).
Teller souleve également la possibilité théorique qu'une bombe atomique puisse "enflammer" l'atmosphère, suite à une hypothétique réaction de fusion des noyaux d'azote. Selon Serber, Bethe démontra que c'était impossible mais Oppenheimer fait malencontreusement part de cette idée à Arthur Compton, qui "n'eut pas le bon sens de la fermer" (didn't have enough sense to shut up about it). Cela parvient par le biais d'un document jusqu'à Washington, ce qui conduit à ce que la question "soit toujours restée en suspens". L'inquiétude n'était pas encore totalement dissipée dans l'esprit de certaines personnes au moment du test Trinity, le 16 juillet 1945.
Les réunions de juin 1942 portant sur la base théorique détaillée pour la conception de la bombe atomique, convainquent Oppenheimer qu'il est préférable de n'avoir qu'un simple laboratoire centralisé pour mener les recherches, plutôt que des spécialistes dispersés dans tous le pays. Ce souhait sera cependant irréalisable et éclipsé par la besoin d'usines pour produire l'uranium et l'ampleur du projet Manhattan.
5° Sites géographiques du Projet Manhattan.
Bien qu'il implique plus de trente sites différents, le Projet Manhattan est en grande partie réalisé dans quatre grands complexes secrets établis par domaine d'application: Los Alamos, au Nouveau-Mexique, Oak Ridge, dans le Tennessee, Richland, dans l'Etat de Washington, et Chalk River (non repris sur la carte), en Ontario, au Canada.
Le site d'Oak Ridge, ou "Site-X", est sélectionné en raison des nombreux ouvrages et barrages hydroélectriques qui couvrent cette région alimentant la vallée du Tennessee et fournissant de l'énergie bon marché nécessaire. Il couvre plus de 60,000 acres (243 km²) et servira essentiellement à la production de l'uranium-235. Pour garder le secret sur ce site, les habitants qui y vivaient ont été forcé par le gouvernement de déménager et de vendre leur propriété, et les sentinelles ont ordre de tirer sans sommation sur toute personne non autorisée tentant de franchir le périmètre de sécurité. Les installations du Projet Manhattan qui y seront implanté consommeront jusqu'à un sixième du courant électrique produit par les Etats-Unis, soit plus que la ville de New York.
Le site d'Hanford (2,600 km²), ou "Site-W", près de Richland dans l'Etat de Washington, est sélectionné pour sa proximité avec la rivière Columbia, un cours d'eau pouvant servir à refroidir les réacteurs produisant le plutonium-239. Il est couvert principalement par des fermes et des terres cultivables.
Le site canadien, sur la rivière Chalk, est sélectionné pour sa proximité avec les nombreux complexes industriels de l'Ontario et du Quebec, son carrefour ferroviaire important, adjacent à une base militaire, Camp Petawawa, sur la rivière Ottawa, une région donnant accès à de nombreux voies de communication fluviales et ferroviaires.
Le laboratoire national de Los Alamos, ou "Site-Y", au Nouveau-Mexique, a été construit sur une mesa servant auparavant à la Los Alamos Ranch School, une école privée pour garçons. Ce site a été choisi pour son éloignement avec tout centre hurbain, idéal pour son "groupe de réflexion" et les laboratoires scientifiques de recherche. Ce site a été acheté 440,000 dollars à l'Etat.
Los Alamos sera également responsable de l'assemblage final des bombes, des matériaux et composants usinés sur d'autres sites, et de la fabrication des explosifs et de la matière fissile employés dans les bombes.
Tous ces emplacements sont en outre situés à l'intérieur des terres, loin des littoraux, et donc moins vulnérables à des attaques ou des débarquements japonais ou allemands.
Choix des cibles.
Les 10 et 11 mai 1945, le "Comité des Cibles" (1), réunis à Los Alamos, regroupant des scientifiques du Projet Manhattan et des militaires, et dirigé par Robert Oppenheimer, recommande comme objectifs possibles (dans cet ordre) Kyoto, Hiroshima, Yokohama, l'Arsenal de Kokura, Niigata et le Palais impérial à Tokyo (option?). Leur choix a été établi selon un certain nombre de critères:
Hiroshima est décrite comme une grande ville industrielle et compte une importante garnison militaire, ainsi qu'un des plus importants noeuds de communication sur la côte nord de la Mer Intérieure, entre les îles Honshu, Kyusyu et Shikoku. C'est en outre une des plus importantes bases navales, d'où est parti la Flotte combinée impériale pour Pearl Harbor, fin novembre 1941. Au total, une population de 255,200 habitants et 25,000 militaires. La ville abrite en oute le quartier-général de la 2ème Armée du général Fusataro Teshima, responsable de tout le secteur sud-ouest du Japon.
Nagazaki compte également une grande base navale et un grand nombre de centres de production aéronautique ou navale. Quatre usines Mitsubishi y sont implantées. Mais contrairement à Hiroshima au relief bas et stable, la ville s'étend dans deux vallées et sur de nombreuses collines.
Le 31 mai 1945, Stimson réunit les principaux acteurs militaires et scientifiques du projet Manhattan. Ils discutent des inconvénients liés à un avertissement donné aux Japonais avant l'attaque. Ils craignent que les Japonais n'en profitent pour déplacer des prisonniers de guerre en direction des zones prévues pour le bombardement ou que les avions soient abattus. Il se peut aussi que la bombe soit un fiasco avec une explosion incomplète.
Edward Teller propose de faire exploser la bombe de nuit, sans avertissements, au-dessus de la baie de Tokyo, pour éviter les pertes humaines et choquer l'opinion japonaise. Cette idée est rejetée: les Japonais ont déjà prouvé leur combativité sans limite avec les kamikazes et il n'est pas sûr qu'une action sans destruction massive soit suffisante pour les ébranler.
Oppenheimer suggère alors d'attaquer avec plusieurs bombes le même jour pour définitivement stopper la guerre. Le général Leslie Groves s'y oppose car les cibles ont déjà fait l'objet de bombardements conventionnels et que les effets des bombes atomiques ne seraient pas assez significatifs sur ces terrains déjà dévastés. De plus, aucun test n'ayant encore été effectué, les effets ne sont pas précisément connus.
(1) Minutes of the second meeting of the Target Committee, Los Alamos, May 10-11, 1945.
Expérimentation de la première bombe atomique.
Trinity est le nom du premier test d'une arme nucléaire. Mené par les Etats-Unis le 16 juillet 1945, dans le White Sands Proving Ground (aujourd'hui White Sands Missile Range) du Nouveau-Mexique. L'engin expérimenté, baptisé Gadget, est une bombe à fission par implosion, au plutonium, de même nature que Fat Man, qui sera larguée sur Nagazaki.
Les divers composants arrivent le 12 juillet 1945 sur le site de White Sands. La bombe atomique baptisée Gadget est assemblée au Ranch McDonald le lendemain 13 juillet, puis fixé au sommet d'une tour de 30 mètres de hauteur.
La planification et l'exécution du test ont été confiées à Kenneth Bainbridge, un professeur de physique de l'Université de Harvard, et l'expert en explosif George Kistiakowsky. Le site sélectionné est celui du White Sands Proving Ground, qui sert de dépôts et de terrains de tir aux forces armées américaines, situé dans le comté de Socorro à 56km au sud-est de la localité du même nom, dans le sud-ouest du Nouveau-Mexique, près de la ville d'Alamogordo.
A 4h45, un rapport météo favorable est communiqué. Et à 5h10, le compte-à-rebour, dicté par Samuel K. Allison, commence.
A 5h29:45 heure locale (11h29:45 UTC), Gadget explose en libérant une énergie comparable à 19 kT de TNT, soit 87.5 TJ ou 87.5 * 10^12 Joules. L'explosion crée un cratère radioactif de 330m de diamètre et d'environ 3m de profondeur au centre. La chaleur a été si intense que la silice présente dans le sable à cet endroit s'est transformée en verre d'une couleur vert clair, appelée "trinitite" à cette occasion.
Les résultats et le succès de l'expérience sont envoyés au président Harry Truman, qui assiste à la Conférence de Potsdam, à Berlin en Allemagne. Celui-ci relaie ensuite la nouvelle aux Britanniques et aux Soviétiques. Les informations sur Trinity seront publiées dans la presse après le bombardement d'Hiroshima. Le "Rapport Smyth" (Smyth Report), écrit par le physicien Henry DeWolf Smyth, publié le 12 août 1945, fournira les premières mesures effectuées sur l'effet de souffle de l'explosion. Et l'édition Princeton University Press publiera quelques semaines plus tard les célèbres photos illustrant la boule de feu s'élevant dans l'atmosphère.
Une fois l'euphorie retombée, de retour à Los Alamos, Kenneth Bainbridge commentera à Robert Oppenheimer: "Maintenant, nous sommes tous devenus des f** de p**" ("Now we are all sons of bitches"). Oppenheimer, se référant à des textes sacrés indous, lui répondra en murmurant: "Maintenant, je suis devenus la Mort, le destructeur de mondes" ("Now, I am become Death, the destroyer of worlds").
Déclaration de Potsdam: l'ultimatum américain.
Ce 16 juillet 1945, s'ouvre en Allemagne la Conférence de Potsdam, dans la banlieue berlinoise. Une réunion au sommet à laquelle participent le président américain Harry Truman, son chef d'état-major l'amiral William Leahy et le secrétaire d'Etat James F. Byrnes, le Premier ministre britannique Clement Atlee, Winston Churchill et Ernest Bevin, et enfin les soviétiques Joseph Staline ainsi que son ministre des Affaires étrangères, Vyacheslav Molotov.
Le but de cette conférence est de discuter sur l'occupation et le futur découpage de l'Allemagne en "zones d'occupation", de la Paix et des problèmes de l'Après-guerre en Europe, mais surtout de parvenir à un réglement de la guerre contre le Japon. Quelques heures avant son ouverture, Harry Truman a informé les délégations britannique et soviétique sur le succès du test Trinity au Nouveau-Mexique. Ce que l'Américain ignore, c'est que Staline est déjà au courant de l'existance du Projet Manhattan grâce à ses services d'espionnage.
Concernant le Japon, les "Trois Grands" établissent que l'"Empire nippon devra revenir à ses frontières de 1937". Cela implique le retrait des troupes japonaises de Chine, de Mandchourie et de Corée. La capitulation et la dissolution des forces armées est exigée.
Le 21 juillet 1945, le président américain donne son accord à l'utilisation de l'arme nucléaire contre le Japon. Trois jours plus tard, il est relayé à Henry Stimson, le Secrétaire à la Guerre.
Le 25 juillet 1945, le général Thomas Handy, de l'état-major interarmes (Joint Chiefs of Staff) envoie un ordre secret au général Carl A. Spaatz, commandant l'aviation de bombardement stratégique américaine dans le Pacifique. Cela sera le seul ordre écrit concernant l'utilisation de la bombe atomique.
Ordre secret de Thomas Handy envoyé à Carl Spaatz.
"Le 509th Composite Group de la 20th Air Force devra larguer sa première bombe spéciale dès que la météo permettra un bombardement à vue, vers le 3 août 1945 sur une des cibles sélectionnées: Hiroshima, Kokura, Niigata et Nagazaki..."
Le 26 juillet 1945, c'est la "Déclaration de Potsdam" et la publication des Accords. Le Ministre soviétique des Affaires étrangères, Vyacheslav Molotov, transmet à Tokyo, par l'intermédiaire de son ambassadeur à Moscou Natakoe Sato, l'ultimatum américain exigeant la capitulation totale et inconditionnelle des forces armées japonaises.
Si Tokyo n'obtempère pas, Washington menace le Japon d'une "destruction immédiate et complète". Truman, après l'expiration du délai de quarante-huit heures, approuvera l'utilisation de l'arme atomique pour mettre fin définitivement à la Seconde Guerre mondiale. Cet ultimatum n'évoque cependant pas l'utilisation de l'arme nucléaire.
A Tokyo, le Premier ministre japonais, Kantaro Suzuki, soutenu par les "Faucons" et les militaires jusqu'auboutistes, le Ministre de la Guerre Korechika Anami et le chef d'Etat-major Yoshijiro Umezu, en raison de l'absence d'indication sur le sort de l'Empereur et du trône impérial, le rejette en déclarant les Accords de Potsdam "nuls et non avenus".
Dernier voyage de l'Indianapolis.
Avant même que le test de Gadget soit mené au Nouveau-Mexique, les composants des autres bombes Little Boy et Fat Man sont acheminés en Californie pour être finalement livrer par voie maritime aux îles Mariannes. C'est le croiseur lourd Indianapolis, endommagé lors de la bataille d'Okinawa et en cours de réparation dans la baie de San Francisco, qui est désigné pour acheminer les deux engins et leur matière fissile (uranium et plutonium).
Photo ci-dessous: l'USS Indianapolis (CA-35) en mer en 1943-1944.
L'USS Indianapolis appareille de San Francisco le 16 juillet 1945, son équipage ignorant tout de la nature de son chargement. Il fait escale à Pearl Harbor trois jours plus tard, et prend ensuite le cap des îles Mariannes, où est stationné le 509th Composite Group de la 20th Air Force, l'unité spéciale chargée de mener les bombardements atomiques au-dessus du Japon et commandée par le colonel Paul Tibbets.
Le croiseur lourds atteint Tinian le 26 juillet 1945. Après avoir livré son chargement secret, il se dirige vers Guam, pour y procéder à des changements d'hommes d'équipage équipage. Il appareille de Guam le 28 juillet pour se rendre à Leyte, aux Philippines, où il doit participer à des exercices de tirs avec d'autres navires de la 7ème Flotte américaine.
Mais l'Indianapolis n'atteindra jamais Leyte. Au milieu de la mer des Philippines, dans la nuit du 30 juillet 1945 à 0h14, il est atteint par deux torpilles expédiées du sous-marin I-58 commandé par le lieutenant-commander Mochitsura Hashimoto (décédé en 2000 à l'âge de 91 ans). Touché mortellement, le navire américain sombre douze minutes plus tard.
"Près de 850 hommes d'équipage, sur un équipage de 1,200, ont le temps de se jeter à la mer avant que le navire ne disparaisse dans les flots. Mais quand les hydravions de secours arrivent enfin, le 2 août suivant, il ne reste que 318 survivants. Tous les autres sont morts d'épuisement, noyés, ou dévorés par les requins, dans ce qui reste à ce jour le pire désastre de la marine de guerre américaine." (1)
L'Indianapolis a le triste privilège d'être le dernier navire américain coulé de la Seconde Guerre mondiale.
(1) D'Iberville, Saviez-vous que... - "2339 Little Boy"
Préparation et entrainement du 509th Composite Group.
Le 509th Composite Group est une unité spécialement constituée et entraînée pour le transport des deux bombes atomiques vers leur objectif. Créée le 9 décembre 1944 et activée huit jours plus tard sur l'aérodrome de Wendover AAF, dans l'Utah, son premier commandement est confié au colonel Paul W. Tibbets, un pilote confirmé de B-17 Flying Fortress qui a combattu en Europe au sein de la 8th Air Force, d'août 1942 à septembre 1944, date à laquelle il est rapellé aux Etats-Unis.
Le 509th Composite Group regroupe deux escadrilles: le 393rd Bomb Squadron [Very Heavy], équipé de B-29 Superfortress, et le 320th Troop Carrier Squadron, chargé du transport du personnel et du matériel par C-47 Skytrain (Douglas DC-3), C-54 Skymaster (DC-4) et C-46 Commando. Etant donné sa nature hétérogène, le Groupe est affublé du qualificatif "Composite".
Travaillant en liaison avec le Site-Y de Los Alamos au Nouveau-Mexique, Tibbets sélectionne Wendover pour l'entraînement de base de ses équipages. Le 10 septembre 1944, les B-29 du 393rd Bomb Squadron, détaché de son unité d'origine, le 504th Bomb Group de Fairmont AAF, dans le Nebraska, arrive sur place.
Seuls Tibbets a été informé de la véritable nature de sa mission. Ses équipages demeurent dans l'ignorance de l'avancement du projet Manhattan. Ils s'entraînent d'ailleurs avec des enveloppes et des caractéristiques assez similaires à celle de Fat Man, mais creuses et bourrées d'explosif conventionnel TNT, et peintes en jaune-orange, d'où leur nom de "Bombes citrouilles", qui sont censées se comporter comme les véritables bombes atomiques.
En janvier et février 1945, dix équipages sont temporairement transférés sur l'aérodrome de Batista Field, à Cuba, pour y suivre un entraînement sur la navigation longue distance en milieu océanique.
Le 6 mars 1945, le 1st Ordnance Squadron [Special, Aviation] est activé à Wendover. Sa tâche est d'entraîner le personnel au sol dans l'assemblage et la manutention des bombes atomiques, la modification des soutes à bombes des B-29 et la fourniture du matériel nécessaire aux missions du 509ème Groupe.
En juin 1945, les trois squadrons du 509th Composite Group, regroupant au total 225 officiers et 1,542 hommes de troupe, sont enfin déclarés opérationnels et reçoivent leur ordre de transfert. Ils commencent leur déploiement vers Tinian, dans les îles Mariannes, où les derniers B-29 arriveront le 2 août 1945.
6 août 1945 - Objectif: Hiroshima.
Le 3 août 1945, le largage de Little Boy, la bombe atomique à l'uranium-235, prévu pour cette journée, est reporté au 6 août en raison de la météo défavorable au-dessus du Japon.
Le 5 août 1945, les conditions météorologiques s'améliorent. Le largage de Little Boy, retardé depuis deux jours, est fixé définitivement au lendemain matin. L'objectif primaire est Hiroshima. L'objectif secondaire ou de substitution, est Kokura.
A 18h30, sur l'aérodrome de North Field, Little Boy est arrimé, grâce à une fosse, dans la soute du B-29 désigné pour la mission, l'Enola Gay du colonel Paul Tibbets, commandant du 509th Composite Group, XXI Bomber Command de la 20th Air Force.
Le long briefing de Tibbets et de son équipage débute à 21h30, et se poursuit jusqu'aux environs de minuit. Les deux B-29 d'accompagnement, le premier chargés d'instruments de mesures, le second de caméras de prises de vues et de scientifiques, sont le Great Artiste et le Necessary Evil. Le décollage des trois bombardiers est programmé pour la nuit du 5 au 6 août 1945.
Plan de vol d'Enola Gay et de Bock's Car, les 6 et 9 août 1945:
Vidéos ci-dessous: documentaire de la chaine BBC-Wordwide "Hiroshima: Dropping the Bomb" (2007).
Vidéo ci-dessous: "Hiroshima: 24 hours after". Partie 1/3.
Le 6 août 1945, à l'heure prévue, 2h45 du matin, les 65 tonnes de l'Enola Gay, soit une surcharge de plus de 8 tonnes, s'arrachent avec difficulté de la piste de North Field, sur l'île de Tinian. Tibbets est suivit à deux minutes d'intervalle par les deux autres B-29 d'accompagnement Great Artiste et Necessary Evil, respectivement pilotés par le major Charles W. Sweeney et le capitaine George W. Marquardt.
A 7h30, le B-29 météo assigné à Hiroshima, Straight Flush, piloté par le capitaine Claude R. Eatherly, signale par radio à Tibbets de bonnes conditions météorologiques et une légère couverture nuageuse au-dessus de la ville. Le destin de cette ville industrielle de 280,000 habitants civils et militaires, un des plus importants noeuds de communication stratégiques de la Mer Intérieure, entre les îles Honshu, Shikoku et Kyusyu, qui abrite le QG de la 2ème Armée japonaise du général Fusataro Teshima, et une importante base navale d'où, fin novembre 1941, était parti la flotte combinée japonaise vers Pearl Harbor, et de nombreuses casernes, est désormais fixé.
A 6h, lorsque ce B-29 de reconnaissance météo était arrivé au-dessus de la ville, les sirènes retentissent et les habitants gagnent les abris anti-aériens. La "fin d'alerte" sonne aux environs de 7h. Lorsque Tibbets commence son approche au-dessus d'Hiroshima, il est 8h06. Contrairement à la fausse alerte donnée deux heures plus tôt, les autorités de la ville n'estiment pas que l'approche d'un B-29 solitaire, suivit de deux autres, constitue une menace pour la ville.
D'après certains témoignages de survivants, les habitants qui observent ce manège remarquent alors, avec une angoisse subite, que les deux avions suivant l'avion de tête s'écartent brusquement de celui-ci et s'éloignent à toute vitesse de l'endroit au-dessus duquel le premier bombardier laisse tomber un objet.
Plus tôt, à 6h30, l'expert en explosif, le capitaine William "Deak" Parsons, a installé et branché le détonateur. Quelques minutes avant le largage, à 8h10, le second lieutenant Morris R. Jeppson, est le dernier humain à toucher Little Boy lorsqu'il remplace les fusibles de sécurité par les fusibles d'armement. Tibbets donne l'ordre fatidique à 8h15 et l'opérateur-bombardier, le major Thomas Ferebee, procède au largage de la bombe atomique en visant son objectif: le pont Aioi-bashi en forme de "T" qui enjambe la rivière Ota.
A 8h15:17, Little Boy quitte la soute de l'Enola Gay à l'altitude de 9,855m. Après avoir largué sa bombe, Tibbets vire rapidement sur l'aile et s'éloigne également à pleine vitesse.
A 8h16:02, quarante-cinq secondes plus tard, la bombe atomique explose à environ 600m d'altitude, à la verticale de la clinique chirurgicale Shima, à 240m de son objectif initial, le pont Aioi-bashi. Un éclair blanc-bleuté aveuglant "comparable à mille soleils" déchire le ciel. Il est suivi d'une chaleur de fournaise.
Puis arrive l'onde de choc... Un bruit intenable "plus fort que mille tonnerres" retentit sur la ville condamnée. Une explosion d'une intensité inimaginable, jusque-là encore inconnue, projette un nuage de fumée et de débris en forme de champignon jusqu'à 15km d'altitude. Dans un rayon de 850 mètres autour de l'épicentre, il ne reste plus rien! Seuls quelques bâtiments solides, ou leurs structures, en pierres ou en béton tiennent encore debout...
L'onde de choc est suivie d'un incendie spectaculaire, qui réduit complètement en cendres une surface d'environ 12km². Environ 60,000 à 90,000 bâtiments sur 25km² sont détruits ou gravements endommagés. Etant donné que les sirènes d'alerte n'ont pas retentie, peu de personnes ont pu rejoindre les abris anti-aériens.
On ne connaîtra jamais avec exactitude le nombre des victimes d'Hiroshima. Sur le monument commémoratif érigé plus tard à l'épicentre de l'explosion figurent une liste de 61,443 noms. Plus tard, les Américains établieront le bilan de l'explosion à 139,402 victimes: 71,379 morts ou disparus, et 68,023 blessés dont 19,691 graves.
L'ironie veut que la plupart des grandes usines d'Hiroshima se trouvent dans la périphérie de la ville, et qu'elles échappent ainsi à l'anéantissement total. En 1946, l'inspection américaine qui suit, le Strategic Bombing Survey (Atomic Attacks) précise que seulement 26% de ces usines ont été detruites. Si la guerre s'était prolongée, les industries endommagés auraient pu reprendre leur activité normale.
Photos ci-dessous: 1° Le pont Aioi-bashi (à gauche) et le Mémorial de la Paix (l'épicentre de l'explosion) avec le Dôme Ganbaku et l'Hôpital Shima conservés en l'état, en août 2008. 2° Le dôme Ganbaku du Mémorial sous un autre angle de prise de vue.
9 août 1945 - Objectif: Nagazaki.
Le 9 août, à 3h49, le 509th Composite Group entame sa seconde et dernière mission atomique sur le Japon. Mais celle-ci se déroulera beaucoup moins bien que la première, trois jours plus tôt, au-dessus d'Hiroshima. Cette fois encore, l'opération est menée par un B-29 porteur et deux B-29 d'accompagnement.
Initialement, il était prévu que se soit le B-29 Great Artiste qui transporte la bombe au plutonium Fat Man, piloté par le major Charles W. Sweeney. Des difficultés techniques sur le Great Artiste pour démonter les appareils de mesure utilisés le 6 août obligent les Américains à choisir un autre B-29 pour transporter Fat Man, le Bock's Car du capitaine Frederick C. Bock. Le largage de Fat Man étant toujours confié à Sweeney, on procède à l'échange des deux équipages. C'est donc le B-29 Bock's Car piloté par Charles Sweeney qui larguera la bombe au plutonium.
Il a également été décidé la veille que la ville de Niigata était trop éloignée et ne convenait plus pour ce type d'opération. Kokura est donc désigné comme objectif primaire de cette mission, et Nagasaki comme objectif de substitution.
Deux autres B-29 étaient chargés d'observer les conditions météo au-dessus des deux cibles primaires et secondaires, le Up an' Atom du capitaine George W. Marquardt sur Kokura, et le Laggin' Dragon du capitaine Edward M. Costello sur Nagazaki.
Kokura occupe une situation intéressante, parce qu'un énorme arsenal militaire est implanté sur la pointe septentrionale de Kyushu. Nagasaki, pour sa part, est une ville industrielle importante et un grand port. Quatre usines Mitsubishi fabriquant du matériel de guerre y sont installées. Contrairement à Hiroshima, construite dans une région de delta au relief peu accentué, Nagasaki est bâtie sur plusieurs collines et dans deux vallées. Cette configuration du terrain réduira fortement les dégâts et la superficie touchée.
Fat Man est arrimée à la soute modifiée de Bock's Car le 8 août à 22h. Le briefing de l'équipage débute à 23h et se poursuit jusqu'à 2h du matin, le 9 août.
Les deux B-29 météo, Up an' Atom et Laggin' Dragon, décollent les premiers de l'aérodrome de North Field, sur Tinian, pilotés par les capitaines George W. Marquardt (Kokura) et Edward M. Costello (Nagasaki), à 2h58 du matin.
Bock's Car décolle de North Field à 3h49. Tout comme la première mission, un technicien spécialiste en armes de la marine, le lieutenant Frederick Ashworth, se trouve à bord, chargé de surveiller la bombe atomique. Mais contrairement à Little Boy, Fat Man, qui pèse 4,550kg, est armée avant le départ. Et la base évacuée par sécurité.
Les deux B-29 d'accompagnement, Great Artiste, piloté par le lieutenant Frederick C. Bock, et Big Stink du lieutenant Herman S. Zahn, piloté par le major James I. Hopkins, chargés des appareils de mesures pour l'un, des caméras de prises de vues et de scientifiques pour l'autre, font de même à 3h51 et 3h53.
Une tempête naissante oblige Bock's Car et les deux autres B-29 à se séparer en remontant vers le nord. Les trois bombardiers doivent se regrouper au dessus de l'île de Yakushima, au sud de Kyushu.
Premier ennui: Sweeney découvre en vol que les 2,730 litres de carburant d'un des réservoirs sont inutilisables à cause de la défaillance d'une pompe. Cet incident diminue sérieusement ses réserves de carburant.
En second lieu, l'Américain perd du temps et du carburant au-dessus de l'île de Yakushima, où il doit décrire de nombreux cercles pour attendre les deux autres B-29 d'accompagnement.
A 9h50, après 40 minutes d'attente, le Great Artiste rejoint le Bock's Car, mais le Big Stink se faisant attendre, et les deux bombardiers décident de poursuivre seuls leur vol vers Kokura.
A 7h38, au-dessus de Kokura, le B-29 météo Up an' Atom signale au Bock's Car des conditions météorologiques assez bonnes. Mais lorsque Sweeney arrive à proximité de Kokura, à 10h20, la ville était partiellement cachée par d'épais nuages. Bock's Car survole trois fois la ville en attendant une éclaircie, mais la visibilité n'est vraiment pas suffisante. Sweeney et Bock tournent ainsi en rond pendant vingt minutes, attendant le Big Stink. Mais celui-ci n'arrive toujours pas.
A 10h40, les deux B-29 prennent la direction de leur objectif de substitution: Nagasaki. Bock's Car et Great Artiste y arrivent à 11h56. Mais là également, le ciel est nuageux. Les réserves de carburant commençant sérieusement à diminuer, le lieutenant Frederick W. Ashworth, le navigateur-bombardier, ordonne de lâcher la bombe au radar, à la place d'un largage visuel.
Fat Man est larguée à 11h58 à 8,809m d'altitude, et explose quarante-trois seconde plus tard dans le zoning industriel au nord de la ville, à 469m d'altitude, entre deux usines Mitsubishi fabriquant du matériel de guerre, à environ cinq kilomètres de sa cible initiale. Contrairement à Hiroshima, ce n'est pas le centre-ville qui est le plus touché, mais les installations industriels de la périphérie, qui sont rasés à 68.3%. La presse japonaise ayant à peine fait mention du bombardement d'Hiroshima, trois jours plus tôt, les habitants de Nagasaki ne s'attendent pas à subir le même sort.
A 12h01, il n'y a que 400 personnes dans les abris antiaériens. Tout comme à Hiroshima, il n'y a aucune alerte aérienne. Suivant des spécialistes américains, la puissance de l'explosion devait se situer entre 700 et 5,000 tonnes de TNT (5 kT). En réalité, elle est équivalente à environ 22,000 tonnes de TNT (22 kT). Du fait du relief montagneux, la surface sinistrée est plus petite qu'à Hiroshima, et les pertes humaines beaucoup moins importantes, mais dans la surface touchée, les effets y sont plus devastateurs qu'à Hiroshima. Les collines avoisinantes absorbent une partie de la chaleur et du rayonnement et limitent la portée de l'onde de choc.
D'après les autorités japonaises, l'explosion atomique de Nagazaki fait 23,753 tués, 1,927 disparus et 23,345 blessés. Les estimations du "Strategic Bombing Survey (Atomic Attacks)" américain s'établiront de 40,000 à 70,000 morts ou disparus, et 60,000 blessés. Sweeney et Bock se dirigent ensuite vers Okinawa. A 13h20, les deux B-29 réussissent un atterrissage de fortune sur l'aérodrome de Kadena, avec les quelques dizaines de litres de carburant qu'il leur reste.
Le général Leslie Groves, directeur du projet Manhattan, écrira plus tard:
"Les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki furent les causes directes de la reddition du Japon et de la fin de la Seconde guerre mondiale. Aucun doute ne peut subsister à ce sujet! Ces bombes ont semé la mort et la destruction, mais elles ont épargné la vie à un infiniment plus grand nombre de soldats américains, britanniques... et de Japonais."
Photo ci-dessous: stèle commémorative à l'épicentre de l'explosion de Nagazaki, le 19 août 2006.
14-15 août 1945 - Capitulation inconditionnelle du Japon.
Dans la soirée du 6 août 1945, le président Harry Truman annonce aux Américains le bombardement d'Hiroshima et réitère l'ultimatum de Potsdam: "[...] Nous sommes maintenant près à anéantir rapidement et complètement les industries japonaises et leur capacité de production dans les villes. Nous détruirons leurs docks, leurs usines et leurs communications. Qu'on ne s'y trompe pas. Nous détruirons complètement la machine de guerre japonaise. Leurs dirigeants avaient promptement rejeté l'ultimatum. S'ils n'acceptent pas maintenant nos conditions, ils doivent s'attendre à un déluge de ruines venant des airs tel que l'on en a encore jamais vu sur cette terre..."
"We are now prepared to obliterate more rapidly and completely every productive enterprise the Japanese have above ground in any city. We shall destroy their docks, their factories, and their communications. Let there be no mistake. We shall completely destroy Japan's power to make war. It was to spare the Japanese people from utter destruction that the ultimatum of July 26 was issued at Potsdam. Their leaders promptly rejected that ultimatum. If they do not now accept our terms they may expect a rain of ruin from the air, the like of which has never been seen on this earth..."
Il faut préciser que durant cette journée, une série de rapports confus et parfois contradictoires est parvenue à Tokyo, annonçant qu'Hiroshima avait été la cible d'un raid aérien et complètement détruite.
Certain des politiques et des militaires japonais refusent de croire que les Américains ont construit et utilisé une bombe atomique. Les programmes nucléaires japonais sont en effet long et très laborieux. De surcroit, l'armée et la marine impériales développent chacune de leur côté leur propre programme, séparément. Ce qui complique encore leur tâche.
L'amiral Soemu Toyoda, le Chef d'état-major de la Marine impériale, soutient que si les Américains ont construit et utiliser une bombe atomique, ils n'en disposent pas d'autres. Les stratèges américains, prévoyant une réaction de ce genre, planifient une seconde mission de bombardement, pour convaincre les Japonais du contraire.
Le 8 août 1945, des rapports plus détaillés sur le bombardement d'Hiroshima parviennent à Tokyo. Mais en deux jours, la situation politique a complètement changé: l'Union Soviétique brise le Pacte de Neutralité conclut avec le Japon et lui déclare la guerre.
Quelques heures plus tard, le 9 août à 4h du matin, l'Armée Rouge déclenche une offensive en Extrême-Orient et envahit la Mandchourie sous contrôle japonais. Pour faire face à cette nouvelle "catastrophe", l'Empreur demande à son conseiller le Marquis Koichi Kido d'organiser une réunion du Conseil Suprême. Celle-ci débute à 10h30, en présence de l'Empereur. Mais les avis divergent encore et les membres du Conseil n'arrivent toujours pas à se mettre d'accord.
Togo annonce qu'il est prêt à accepter les termes de la Déclaration de Potsdam, mais qu'il a besoin de guaranties sur le sort de l'Empereur et le maintien du régime impérial. Le clan des militaires jusqu'auboutistes, représenté par Anami, y est tout à fait opposé et veut poursuivre la guerre, même si celle-ci doit entraîner "le sacrifice de la nation japonaise tout entière".
En début d'après-midi, arrive la nouvelle du bombardement atomique de Nagazaki, et cette réunion est ajournée à 17h30, sans parvenir à un consensus. Les six membres du Conseil Suprême sont divisés en deux: 3-3. Kantaro Suzuki, Shigenori Togo et Mitsumara Yonai sont favorables à la proposition de Togo sur une capitulation "négociée" et le maintien du régime impérial. Korechika Anami, Yoshijiro Umezu et Soemu Toyoda insistent pour imposer trois "conditions" supplémentaires aux Américains: les militaires japonais procèderont eux-mêmes à leur désarmement, ils jugeront eux-mêmes leurs criminels de guerre, et enfin pas d'occupation étrangère du territoire japonais.
Une seconde réunion se tient de 18h à 22h, toujours sans résultats. Suzuki et Togo s'entretiennent avec l'empereur, et Suzuki propose une conférence impériale improvisée. Celle-ci commence juste après minuit, dans la nuit du 9 au 10 août 1945.
Devant l'impasse, il survint alors un fait tout à fait sans précédent dans l'histoire du Japon: un des conseillers impériaux, le baron Hiranuma Kiichiro, se tourne vers l'Empereur et lui demande sa propre opinion sur la question. Hiro-Hito doit donc quitter son rôle d'observateur et de marionnette pour imposer sa propre décision.
Hiro-Hito sait ce qu'il lui reste à faire: il dit qu'il est d'accord avec la suggestion de son ministre des Affaires extérieures: une capitulation à une unique condition, le maintien de la Maison impériale au Japon.
Dans la matinée du 10 août 1945, le Premier ministre japonais Kantaro Suzuki envoie donc un message, via l'ambassade de Suisse à Tokyo et le diplomate suisse Max Grassi à Washington DC, au Secrétaire d'Etat James Byrne, annonçant qu'il accepte la capitulation, à condition "qu'il ne soit pas porté atteinte au statut de l'empereur Hiro-Hito".
La réponse de James Byrne, approuvée par les Britanniques et les Soviétiques, arrive à Tokyo le 12 août 1945. Soucieuse de ménager la susceptibilité japonaise et de leur laisser une porte de sortie "honorable", la réponse américaine stipule que les Alliés acceptent non plus une capitulation inconditionnelle du pays, mais uniquement de ses forces armées, que l'empereur Hiro-Hito conserverait son trône, mais qu'il devrait renoncer à son statut de "Dieu vivant" et qu'il serait soumis au commandement des troupes d'occupation américaines au Japon.
Là encore, on demande une nouvelle fois l'avis personnel de Hiro-Hito. Ce dernier presse ses conseillers d'accepter les nouvelles conditions américaines. Le gouvernement japonais suit son avis et les accepte enfin. Il renvoie sa réponse affirmative à James Byrne par l'intermédiaire de la diplomatie suisse.
La nouvelle de la capitulation du Japon devra être radiodiffusée le 15 août à partir d'un message de l'Empereur enregistré. Dans la nuit du 14 au 15 août, l'Empereur enregistre son message qui devra être radiodiffusé le lendemain. Dans ce message, le rôle de la bombe atomique y est essentiel: elle constitue une "arme nouvelle et terrible" capable de "détruire la nation japonaise", et le seul moyen de sauver des millions de vies japonaises est la reddition. L'entrée en guerre de l'Union Soviétique n'y est même pas mentionnée.
Il demande à ses compatriotes d'accepter la capitulation du Japon. Et afin d'éviter des problèmes inutiles, il conseille avec insistance à sa population de "ne pas donner libre cours à ses émotions".
Des rebondissement vont cependant précéder ce message officiel radiodiffusé: un groupe d'officiers faisant partie de l'Etat-major de l'armée impériale refusant toujours de se rendre fomentent un coup d'état. L'Empereur doit être écarté de ses conseillers pacifiques, et il fallait l'obliger à changer d'avis et à poursuivre la guerre, à n'importe quel prix.
Durant cette nuit fatidique du 14 au 15 août 1945, les conspirateurs prennent contact avec le général Takeshi Mori, commandant de la Garde impériale du Palais. Ils lui demandent de participer au coup d'état afin de sauver l'honneur de la nation japonaise. Mori écoute leurs arguments, puis déclare qu'avant de prendre une décision, il désire se recueillir quelques instants devant l'autel de Meiji.
Les conspirateurs refusent de lui accorder ce délai de réflexion. Mori est exécuté sur place. Puis les conspirateurs utilisent le sceau de leur victime pour rédiger des ordres à l'intention de la garde impériale. Enfin, ils projetent d'éliminer les conseillers de l'Empereur et d'empêcher la diffusion de son message radiophonique.
Mais le complot échoue finalement lorsque le commandant du district oriental de l'armée japonaise arrive au Palais. Il refuse de prêter main-forte aux rebelles et les oblige à renoncer à leurs projets. L'officier qui a exécuté Mori se suicide avec son arme de service sur la pelouse du Palais impérial.
Lorsque le ministre de la Guerre, Korechika Anami, un des instigateurs du coup d'Etat, apprend le retournement de la situation, le matin du 15 août, il se suicide également en se faisant harakiri. Au cours des jours qui suivent l'annonce de l'Empereur, des dizaines de militaires japonais se suicideront, ne pouvant supporter la honte de la capitulation. La population et le reste de l'Armée impériale acceptent cependant dans le calme la décision de l'Empereur.
Le 28 août 1945, le colonel Charles Tench, un membre de l'Etat-major du général Douglas MacArthur, et 150 techniciens du 68th Army Airways Communications System (ACSS) commandés par le colonel Gordon Blake, atterrissent à bord de 24 Douglas C-47 Skytrain sur l'aérodrome d'Atsugi, près de Tokyo.
Tench et les hommes de Blake préparent l'arrivée de MacArthur et des divisions américaines stationnées dans les îles Philippines et sur Okinawa. Leur arrivée était initialement prévue pour le 26 août, mais a été retardée de quarante-huit heures en raison d'un typhon au large des Philippines. Ils sont les premiers occupants étrangers à fouler le territoire de la métropole japonaise, en 2,600 ans d'histoire. Mais ceci est une autre histoire...
Série documentaire "Grandes Batailles de la Seconde Guerre mondiale"
(Henri de Turenne et Daniel Costelle) - Vidéo Youtube.
"Les Grandes Batailles" est une série d'émissions télévisées historiques de Daniel Costelle, Jean-Louis Guillaud et Henri de Turenne diffusée à la télévision française dans les années 1960 et 1970, qui décrit les principales batailles de la Seconde Guerre mondiale ainsi que le procès de Nuremberg. Les émissions donnent la parole aux officiers ayant participé à ces batailles ainsi qu'à des historiens. Ces interventions alternent avec des extraits de reportages. Les commentaires sont d'Henri de Turenne.
"Bataille du Pacifique - 2ème Partie: la reconquête" (1943-1945).
7 décembre 1941. L'agression japonaise contre la base aéronavale américaine de Pearl Harbor entraîne les Etats-Unis dans une bataille à mort sur le plus vaste théâtre d’opérations de l'histoire. Avide de conquêtes et de matières premières, le Japon instaure sa domination sur l'Asie, jusqu'à la victoire américaine de Midway du printemps 1942, qui sonne l'heure du reflux. Les archives des forces alliées et japonaises restituent l'irrésistible ascension japonaise et cet affrontement aéronaval spectaculaire. Ce documentaire montre chaque étape de la bataille du Pacifique: de la sauvagerie des combats sur les plages et dans la jungle des îles du Pacifique à l'apocalypse nucléaire qui s'abat sur le Japon en août 1945.
Article modifié le 6 août 2020.
Sources principales:
• Manhattan Project (Wikipedia.org) (Wikipedia.org)
• Hiroshima and Nagazaki (Wikipedia.org)
Historique du développement.
Manhattan Project est le nom de code du programme américain de développement de la bombe atomique durant la Seconde Guerre mondiale. Developpé à partir de 1942 dans le Manhattan Engineer District (MED), le gigantesque complexe d'Oak Ridge (Tennessee), et placé sous le contrôle du Corps d'ingénieurs de l'US Army dirigé par le général Leslie R. Groves, assisté du physicien Robert Oppenheimer, ce projet a été initié suite à la lettre d'Albert Einstein et de Leo Szilard, en 1939, mettant en garde les Etats-Unis contre le programme nucléaire de l'Allemagne nazie.
Photo ci-dessous: le général Leslie R. Groves (à gauche) et le physicien Robert Oppenheimer (à droite), les deux responsables militaire et civil du Projet Manhattan.
Le projet Manhattan débouche finalement sur la conception et la réalisation des trois premières bombes atomiques de l'Histoire. La première, au plutonium et baptisée Gadget, est testée avec succès le 16 juillet 1945 dans le désert du Nouveau-Mexique, près de la ville d'Alamogordo. Nom de code de l'expérience: Trinity. Les deux autres, Little Boy ("Petit Garçon") à l'uranium et Fat Man ("Gros Lard") au plutonium, sont destinées à être employé contre le Japon.
1° Découverte de la fission nucléaire et de la réaction en chaîne.
Les premières décennies du vingtième siècle sont marqués par des changements radicaux dans la compréhension de la physique des atomes, comme la découverte du noyau, l'émission de radiations, la division du noyau dans une réaction en chaîne menant à la libération massive d'énergie (fission nucléaire), etc.
En 1933, le physicien danois Niels Bohr, tirant ses conclusions des recherches et travaux de Max Planck et Ernest Rutherford, a développé un modèle de l'atome. C'est un modèle planétaire: un petit mais dense noyau, contenant des protons et des neutrons, représente la plus grande partie de la masse de l'atome. Autour de ce noyau gravitent des électrons.
Des scientifiques mettent au point de nouveaux instruments, comme le cyclotron ou d'autres accélérateurs de particules, qui permettent de découvrir de nouveaux éléments, comme les radio-isotopes (Carbone-14).
L'étude sur le phénomène de la radioactivité commence en 1896, avec la découverte du minerai d'uranium par Henri Becquerel, suivie des travaux de Pierre et Marie Curie sur le radium. Leurs recherches mettent en évidence le fait que les atomes, de nature auparavant connue comme stable et indivisible, peuvent libérer d'énorme quantités d'énergie.
En 1919, Ernest Rutherford réalise les premières fissions nucléaires en bombardant l'azote avec des particules alpha émises à partir d'une source radioactive.
Les progrès dans le contrôle et la compréhension de la fission nucléaire s'accélèrent encore pendant les années trentes, quand les manipulations sur le noyau deviennent possibles.
En 1932, Sir John Cockcroft et Ernest Walton deviennent les premiers scientifiques à "casser" l'atome (provoquant ainsi une réaction nucléaire) en utilisant des particules artificielles accélérées.
En 1933, le physicien hongrois Leo Szilard émet l'idée qu'un neutron, en bombardant le noyau, libère d'autres neutrons, qui à leur tour, obtiennent d'autres bombardements et de fissions. Et ainsi de suite... C'est le principe de la "réaction en chaîne".
En 1934, Frédéric et Irène [la fille de Pierre et Marie] Joliot-Curie découvrent que la radioactivité artificielle peut-être induite dans les éléments stables en les bombardant avec des particules alpha. La même année, le physicien italien Enrico Fermi obtient des résultats similaires en bombardant des atomes d'uranium avec des neutrons (découverts en 1932), mais il ne réalise pas tout de suite la portée de sa découverte.
En décembre 1938, Otto Hahn et Fritz Straussmann publient en Allemagne leurs résultats expérimentaux sur le bombardement des atomes d'uranium avec des neutrons. Ils démontrent que ce bombardement de neutrons produisent un isotope de barium.
Peu de temps après, leur collègue autrichienne Lise Meitner, alors réfugiée politique en Suède, et son neveu Otto Robert Frisch inteprètent les résultats de deux Allemands comme la fission du noyau après l'absorbtion d'un neutron, libérant une phénoménale quantité d'énergie et d'autres neutrons.
Le 16 janvier 1939, Niels Bohr quitte le Danemark et se rend aux Etats-Unis pour participer à un colloque à l'Université de Princeton (Californie). Peu avant son départ, Lise Meitner et Otto Frisch lui ont fait part des conclusions de leurs travaux sur la fission nucléaire. Bohr a promis de les garder secrètes jusqu'à ce qu'ils publient un article afin de leur assurer la priorité, mais à bord du navire qui le conduit à New York, il en parle avec son ami et physicien belge Leon Rosenfeld, en oubliant de lui demander de respecter le secret.
Dès son arrivée aux Etats-Unis, Rosenfeld en parle à tous les physiciens de Princeton, et la nouvelle se répand ainsi à d'autres scientifiques comme Enrico Fermi, à l'Université de Columbia (Manhattan, NY). Les conversations entre Fermi, John R. Dunning et George B. Pegram débouchent sur la recherche à Columbia des rayonnements ionisants produits par les fragments du noyau d'uranium.
Pendant que se produisent ces découvertes scientifiques, la situation politique change et se déteriore en Europe, et particulièrement en Allemagne. Adolf Hitler est devenu chancelier en 1933. Son idéologie raciste et ses lois antisémites forcent beaucoup de scientifiques, dont une majorité de Juifs, à fuir l'Europe vers les Etats-Unis. C'est le cas de Leo Szilard, Edward Teller et Eugen Wigner (hongrois), Leon Rosenfeld (belge), et Albert Einstein (allemand).
2° Lettre d'Einstein et de Szilard.
Aux Etats-Unis, les physiciens nucléaires Leo Szilard, Edward Teller et Eugene Wigner sont convaincus que l'énergie libérée par la fission nucléaire peut être utilisée dans des bombes par l'Allemagne nazie. Ils persuadent Albert Einstein, alors l'un des plus célèbres scientifiques et lui aussi réfugié juif, d'avertir de ce danger le Président Franklin Delano Roosevelt dans une lettre datée du 2 août 1939, dont Szilard rédige le brouillon. Cette lettre fait état de la possibilité de créer des bombes d'une puissance encore inconnue : "des bombes d'un nouveau type et extrêmement puissantes pourraient être assemblées."
Le texte laisse présager que la Belgique serait un précieux allié pour obtenir de grandes quantités d'uranium: "les sources les plus importantes se trouvent au Congo belge."
Einstein demande l'appui de Roosevelt, pour que le gouvernement "porte une attention particulière à la préservation de l'approvisionnement en uranium" et qu'il soutienne la recherche sur ce domaine "qui n'est à présent accompli que dans les limites des budgets des laboratoires universitaires". Il fait également part de ses craintes au sujet de l'embargo allemand sur les ventes d'uranium tchécoslovaque, et où "le fils du sous-secrétaire d'Etat allemand, Ernst von Weizsäcker, est attaché à l'Institut du Kaiser Wilheim" qui travaille sur ces problèmes.
Après le bombardement d'Hiroshima, Einstein déclarera regretter amèrement d'avoir envoyé cette lettre: "I could burn my fingers that I wrote that first letter to Roosevelt". ("J'aurais dû me brûler les doigts plutôt que d'écrire cette lettre à Roosevelt").
3° "Comité de l'Uranium".
Après la lettre d'Einstein et de Szilard, le président Franklin D. Roosevelt invite Lyman James Briggs, ingénieur travaillant au National Bureau of Standards, à prendre la direction du nouveau "Comité de l'Uranium" (S-1 Uranium Comittee).
Très vite, quatre aspects du problème, considérés comme critiques, se posent:
- Trouver des sources sûres de minerai d'uranium, en des endroits qui sont à l'abri des menaces éventuelles d'autres pays.
- Développer des méthodes rapides et fiables de production en masse pour extraire l'uranium-235 du minerai et/ou fabriquer du plutonium-239.
- Obtenir la fission contrôlée de l'uranium pour fabriquer des bombes.
- Générer la chaleur à partir de cette fission, afin de récupérer l'énergie dégagée et créer des isotopes.
Les rapports de recherche britanniques sont envoyés à Briggs, mais ils sont ignorés. Un des membres du Comité MAUD, Mark Oliphant, se rend aux Etats-Unis à la fin du mois d'août 1941 pour découvrir pourquoi les Américains ignorent ainsi les conclusions des rapports britanniques. Il rapportera que "cet homme begayant et peu convainquant [Briggs] avait simplement rangé les rapports en question dans son coffre-fort sans les communiquer aux membres de son comité."
Oliphant rencontre ensuite tous les membres du Comité de l'Uranium et d'autres physiciens pour les exhorter et les galvaniser dans leurs recherches. En conséquence, en décembre 1941 Vannevar Bush, ingénieur et conseiller scientifique du président Franklin Roosevelt, créé le "Bureau de Recherche et de Dévelopement Scientifique", Office of Scientific Research and Development (OSRD), une agence fédérale chargée d'accélérer et de coordonner les recherches scientifiques à des fins militaires.
Photo ci-dessous: le Comité de l'Uranium, le 13 septembre 1942 à Bohemian Grove. De gauche à droite, Harold C. Urey, Ernest O. Lawrence, James B. Conant, Lyman J. Briggs, E. V. Murphree et Arthur Compton.
4° Naissance du projet Manhattan et accélération des travaux.
Maintenant que le projet nucléaire américain est sous le contrôle de l'OSRD, ses travaux commencent effectivement à s'accélérer. Le physicien Arthur Compton ouvre le "Laboratoire de Métallurgie de l'Université de Chicago" au début de l'année 1942, pour étudier le plutonium et la pile à fission, l'ancêtre du réacteur nucléaire d'aujourd'hui. Il charge également Robert Oppenheimer, de Berkeley en Californie, de mener des travaux sur les calculs de "neutrons rapides", étape indispensable aux calculs sur la "masse critique" et la réaction en chaîne entraînant l'explosion de l'arme.
C'est véritablement le début du "Project Manhattan", du nom du gigantesque complexe scientifique d'Oak Ridge, dans le Tennessee: Manhattan Engineer District (MAD). Le colonel Leslie R. Groves (il sera promu brigadier-général en septembre 1942), le commandant du Corps d'ingénieur de l'US Army, prend la direction du Projet Manhattan. John Manley, un physicien du Laboratoire de Métallurgie de Chicago, est désigné pour assister Oppenheimer en coordonnant et assurant le contact entre les différents groupes de travail dispersés à travers tous les Etats-Unis.
Ci-dessous: complexe scientifique et le laboratoire national de recherche scientifique d'Oak Ridge (Tennessee), qui sert au cours de la Seconde Guerre mondiale de Quartier-Général au Projet Manhattan.
Durant le printemps 1942, Oppenheimer et Robert Serber, physicien travaillant à l'Université de l'Illinois, travaillent sur le problème de la diffusion des neutrons (comment ceux-ci se déplacent pendant la réaction en chaîne) et de l'hydrodynamique (comment l'explosion engendrée par la réaction en chaîne se comporterait).
Pour passer en revue tout ce travail et la théorie générale sur les réactions de fission, en juin 1942, Oppenheimer réunit un groupe d'étude d'été à l'Université de Berkeley, en Californie. Les théoriciens Hans Bethe, John Van Vleck, Edward Teller, Felix Bloch, Emil Konopinski, Robert Serber, Stanley S. Frankel et Eldred C. Nelson, les trois derniers sont des anciens étudiants d'Oppenheimer, confirment rapidement qu'une fission de l'atome est faisable.
Il reste cependant beaucoup de facteurs inconnus dans le développement de la bombe atomique. Les propriétés de l'uranium-235 pur sont encore assez mal connues, de même que celles du plutonium, un nouvel élément découvert en février 1941 par Glenn Seaborg et son équipe.
Le plutonium-239 est un produit de l'uranium-238 absorbant un neutron émis lors de la fission d'un atome d'uranium 235, et peut ainsi être créé dans un réacteur nucléaire. Mais à ce moment, auncun réacteur n'a encore été construit, ainsi bien que le plutonium soit recherché comme substance fissible additionnel, seul une très petite quantité (quelques microgrammes) existe, produite par des neutrons dérivés de la réaction débutée dans un cyclotron.
Les scientifiques réunis à Berkeley déterminent qu'il existe plusieurs manières possibles d'obtenir la masse critique. La plus simple étant la technique dite de l'"insertion" ou encore du "pistolet". Pour déclencher l'explosion, on projette un bloc de matière fissile contre un autre bloc similaire, ou mieux, un bloc cylindrique à l'intérieur d'un bloc creux.
Le bloc de matière fissile est projeté grâce à un explosif très puissant (cordite). L'inconvénient de cette technique est que, bien que le stade sur-critique soit atteint rapidement (une milliseconde) elle ne l'est pas assez pour du plutonium-239, dégageant spontanément des neutrons, ce qui amorce l'explosion prématurément.
C'est pourquoi cette technique de l'insertion ne sera utilisé que pour la bombe à uranium-235 larguée sur Hiroshima. Le fait que cette technique sera employée sans essai préalable, contrairement au type de bombe à implosion utilisé à Nagazaki, montre à quel point ce mode de fonctionnement est sûr et relativement facile à maîtriser.
Schéma ci-dessous: structure d'une bombe par insertion de type Little Boy (Hiroshima).
Suggérée par le physicien mathématicien Richard C. Tolman, les scientifiques de Berkeley étudient également une conception "sphérique", une technique qui augmente l'efficacité de la bombe pendant son explosion.
La technique de l'"implosion" est plus complexe à mettre en oeuvre. Elle consiste à rassembler la matière fissile disposée en boule creuse, puis à la comprimer de manière à augmenter sa densité et atteindre une configuration super-critique qui déclenchera la réaction nucléaire, et donc l'explosion.
Sa mise en oeuvre est très délicate: la compression de la matière fissile est réalisée à l'aide d'un explosif très puissant, 60% de RDX et 39% de TNT, disposé tout autour. Mais la détonation de ces explosifs est déclenchée par une ensemble de détonateurs qui doivent être rigoureusement synchronisés.
De plus, chaque explosion a tendance à créer une onde de choc sphérique, centrée sur le détonateur. Or on doit obtenir une onde de choc aboutissant simultanément à tous les points externes de la matière fissile, que l'on peut imaginer comme une boule creuse. Ces ondes de choc doivent se déformer pour passer de sphères centrées à l'extérieur, à une sphère de centre commun. On aboutit à ce résultat en utilisant des explosifs où l'onde de choc se déplace à des vitesses différentes, ce qui amène à sa déformation. L'usinage des formes de ces explosifs doit être réalisé avec une extrême précision à l'aide de lentilles optiques.
Un problème semblable se pose avec le plutonium, qui peut revêtir plusieurs états ou phases avec des caractéristiques mécaniques différentes, et qui a donc tendance à devenir hétérogène, ce qui aboutirait à une déformation de l'onde de choc. On y remédie comme dans la métallurgie du fer: par l'addition de faibles quantités d'un autre éléments, souvent le gallium.
La technique de l'implosion permet d'atteindre le stade super-critique bien plus rapidement que celle par insertion. Par implosion, le délai est de l'ordre de deux à trois microsecondes, soit cent fois plus rapide que par insertion. Cette technique permet donc d'utiliser le plutonium-239 comme matière fissile, au lieu de l'uranium-235.
On peut encore améliorer le rendement et/ou diminuer la masse critique en plaçant entre l'explosif et la matière fissile diverses couches qui peuvent, soit avoir un effet mécanique par leur inertie ou en étalant dans le temps l'onde de choc, prolongeant ainsi l'explosion, soit ralentir la perte de neutrons.
La première bombe atomique de l'Histoire testée le 16 juillet 1945, Gadget, et la troisième, Fat Man, larguée sur Nagazaki, contiennent du plutonium-239 et utilisent la technique de l'implosion.
Considérant le principe de la bombe à fission nucléaire comme définitivement réglée, au moins jusqu'à ce que de plus amples données d'experimentation soient disponibles, la réunion de Berkeley prend des directions divergentes.
Le physiciens hongrois Edward Teller veut poursuivre les travaux vers la conception d'une bombe beaucoup plus puissante baptisée Super, qui utiliserait la force explosive d'une bombe à fission pour entraîner une réaction de fusion de deuterium et de tritium. Ce concept est basé sur les études sur la production d'énergie réalisées par Hans Bethe avant la guerre, et suggéré comme une possibilité à Teller par Enrico Fermi, peu de temps avant l'ouverture de la réunion.
C'est le principe de la bombe à Hydrogène. Lorsque l'onde de choc de la bombe à fission est déplacée à travers le mélange de noyaux de deutérium et de tritium, ceux-ci doivent fusionner pour produire beaucoup plus d'énergie que la fission.
Mais Bethe est sceptique. Et lorsque Teller insiste pour poursuivre son idée de "Super-Bombe", Bethe refuse systématiquement ses propositions les unes après les autres. Finalement, cette idée de bombe à fusion (Bombe H) est écartée et mise au placard, et les physiciens se concentrent sur la poursuite de la réalisation de la bombe à fission (Bombe A).
Teller souleve également la possibilité théorique qu'une bombe atomique puisse "enflammer" l'atmosphère, suite à une hypothétique réaction de fusion des noyaux d'azote. Selon Serber, Bethe démontra que c'était impossible mais Oppenheimer fait malencontreusement part de cette idée à Arthur Compton, qui "n'eut pas le bon sens de la fermer" (didn't have enough sense to shut up about it). Cela parvient par le biais d'un document jusqu'à Washington, ce qui conduit à ce que la question "soit toujours restée en suspens". L'inquiétude n'était pas encore totalement dissipée dans l'esprit de certaines personnes au moment du test Trinity, le 16 juillet 1945.
Les réunions de juin 1942 portant sur la base théorique détaillée pour la conception de la bombe atomique, convainquent Oppenheimer qu'il est préférable de n'avoir qu'un simple laboratoire centralisé pour mener les recherches, plutôt que des spécialistes dispersés dans tous le pays. Ce souhait sera cependant irréalisable et éclipsé par la besoin d'usines pour produire l'uranium et l'ampleur du projet Manhattan.
5° Sites géographiques du Projet Manhattan.
Bien qu'il implique plus de trente sites différents, le Projet Manhattan est en grande partie réalisé dans quatre grands complexes secrets établis par domaine d'application: Los Alamos, au Nouveau-Mexique, Oak Ridge, dans le Tennessee, Richland, dans l'Etat de Washington, et Chalk River (non repris sur la carte), en Ontario, au Canada.
Le site d'Oak Ridge, ou "Site-X", est sélectionné en raison des nombreux ouvrages et barrages hydroélectriques qui couvrent cette région alimentant la vallée du Tennessee et fournissant de l'énergie bon marché nécessaire. Il couvre plus de 60,000 acres (243 km²) et servira essentiellement à la production de l'uranium-235. Pour garder le secret sur ce site, les habitants qui y vivaient ont été forcé par le gouvernement de déménager et de vendre leur propriété, et les sentinelles ont ordre de tirer sans sommation sur toute personne non autorisée tentant de franchir le périmètre de sécurité. Les installations du Projet Manhattan qui y seront implanté consommeront jusqu'à un sixième du courant électrique produit par les Etats-Unis, soit plus que la ville de New York.
Le site d'Hanford (2,600 km²), ou "Site-W", près de Richland dans l'Etat de Washington, est sélectionné pour sa proximité avec la rivière Columbia, un cours d'eau pouvant servir à refroidir les réacteurs produisant le plutonium-239. Il est couvert principalement par des fermes et des terres cultivables.
Le site canadien, sur la rivière Chalk, est sélectionné pour sa proximité avec les nombreux complexes industriels de l'Ontario et du Quebec, son carrefour ferroviaire important, adjacent à une base militaire, Camp Petawawa, sur la rivière Ottawa, une région donnant accès à de nombreux voies de communication fluviales et ferroviaires.
Le laboratoire national de Los Alamos, ou "Site-Y", au Nouveau-Mexique, a été construit sur une mesa servant auparavant à la Los Alamos Ranch School, une école privée pour garçons. Ce site a été choisi pour son éloignement avec tout centre hurbain, idéal pour son "groupe de réflexion" et les laboratoires scientifiques de recherche. Ce site a été acheté 440,000 dollars à l'Etat.
Los Alamos sera également responsable de l'assemblage final des bombes, des matériaux et composants usinés sur d'autres sites, et de la fabrication des explosifs et de la matière fissile employés dans les bombes.
Tous ces emplacements sont en outre situés à l'intérieur des terres, loin des littoraux, et donc moins vulnérables à des attaques ou des débarquements japonais ou allemands.
Choix des cibles.
Les 10 et 11 mai 1945, le "Comité des Cibles" (1), réunis à Los Alamos, regroupant des scientifiques du Projet Manhattan et des militaires, et dirigé par Robert Oppenheimer, recommande comme objectifs possibles (dans cet ordre) Kyoto, Hiroshima, Yokohama, l'Arsenal de Kokura, Niigata et le Palais impérial à Tokyo (option?). Leur choix a été établi selon un certain nombre de critères:
- La cible doit avoir plus de trois kilomètres de diamètres et doit être comprise dans une large zone hurbaine.
- Le souffle devra créer des dommages efficaces et mesurables.
- La cible doit être peu susceptible d'être attaquée jusqu'en août 1945.
Hiroshima est décrite comme une grande ville industrielle et compte une importante garnison militaire, ainsi qu'un des plus importants noeuds de communication sur la côte nord de la Mer Intérieure, entre les îles Honshu, Kyusyu et Shikoku. C'est en outre une des plus importantes bases navales, d'où est parti la Flotte combinée impériale pour Pearl Harbor, fin novembre 1941. Au total, une population de 255,200 habitants et 25,000 militaires. La ville abrite en oute le quartier-général de la 2ème Armée du général Fusataro Teshima, responsable de tout le secteur sud-ouest du Japon.
Nagazaki compte également une grande base navale et un grand nombre de centres de production aéronautique ou navale. Quatre usines Mitsubishi y sont implantées. Mais contrairement à Hiroshima au relief bas et stable, la ville s'étend dans deux vallées et sur de nombreuses collines.
Le 31 mai 1945, Stimson réunit les principaux acteurs militaires et scientifiques du projet Manhattan. Ils discutent des inconvénients liés à un avertissement donné aux Japonais avant l'attaque. Ils craignent que les Japonais n'en profitent pour déplacer des prisonniers de guerre en direction des zones prévues pour le bombardement ou que les avions soient abattus. Il se peut aussi que la bombe soit un fiasco avec une explosion incomplète.
Edward Teller propose de faire exploser la bombe de nuit, sans avertissements, au-dessus de la baie de Tokyo, pour éviter les pertes humaines et choquer l'opinion japonaise. Cette idée est rejetée: les Japonais ont déjà prouvé leur combativité sans limite avec les kamikazes et il n'est pas sûr qu'une action sans destruction massive soit suffisante pour les ébranler.
Oppenheimer suggère alors d'attaquer avec plusieurs bombes le même jour pour définitivement stopper la guerre. Le général Leslie Groves s'y oppose car les cibles ont déjà fait l'objet de bombardements conventionnels et que les effets des bombes atomiques ne seraient pas assez significatifs sur ces terrains déjà dévastés. De plus, aucun test n'ayant encore été effectué, les effets ne sont pas précisément connus.
(1) Minutes of the second meeting of the Target Committee, Los Alamos, May 10-11, 1945.
Expérimentation de la première bombe atomique.
Trinity est le nom du premier test d'une arme nucléaire. Mené par les Etats-Unis le 16 juillet 1945, dans le White Sands Proving Ground (aujourd'hui White Sands Missile Range) du Nouveau-Mexique. L'engin expérimenté, baptisé Gadget, est une bombe à fission par implosion, au plutonium, de même nature que Fat Man, qui sera larguée sur Nagazaki.
Les divers composants arrivent le 12 juillet 1945 sur le site de White Sands. La bombe atomique baptisée Gadget est assemblée au Ranch McDonald le lendemain 13 juillet, puis fixé au sommet d'une tour de 30 mètres de hauteur.
La planification et l'exécution du test ont été confiées à Kenneth Bainbridge, un professeur de physique de l'Université de Harvard, et l'expert en explosif George Kistiakowsky. Le site sélectionné est celui du White Sands Proving Ground, qui sert de dépôts et de terrains de tir aux forces armées américaines, situé dans le comté de Socorro à 56km au sud-est de la localité du même nom, dans le sud-ouest du Nouveau-Mexique, près de la ville d'Alamogordo.
A 4h45, un rapport météo favorable est communiqué. Et à 5h10, le compte-à-rebour, dicté par Samuel K. Allison, commence.
A 5h29:45 heure locale (11h29:45 UTC), Gadget explose en libérant une énergie comparable à 19 kT de TNT, soit 87.5 TJ ou 87.5 * 10^12 Joules. L'explosion crée un cratère radioactif de 330m de diamètre et d'environ 3m de profondeur au centre. La chaleur a été si intense que la silice présente dans le sable à cet endroit s'est transformée en verre d'une couleur vert clair, appelée "trinitite" à cette occasion.
Les résultats et le succès de l'expérience sont envoyés au président Harry Truman, qui assiste à la Conférence de Potsdam, à Berlin en Allemagne. Celui-ci relaie ensuite la nouvelle aux Britanniques et aux Soviétiques. Les informations sur Trinity seront publiées dans la presse après le bombardement d'Hiroshima. Le "Rapport Smyth" (Smyth Report), écrit par le physicien Henry DeWolf Smyth, publié le 12 août 1945, fournira les premières mesures effectuées sur l'effet de souffle de l'explosion. Et l'édition Princeton University Press publiera quelques semaines plus tard les célèbres photos illustrant la boule de feu s'élevant dans l'atmosphère.
Une fois l'euphorie retombée, de retour à Los Alamos, Kenneth Bainbridge commentera à Robert Oppenheimer: "Maintenant, nous sommes tous devenus des f** de p**" ("Now we are all sons of bitches"). Oppenheimer, se référant à des textes sacrés indous, lui répondra en murmurant: "Maintenant, je suis devenus la Mort, le destructeur de mondes" ("Now, I am become Death, the destroyer of worlds").
Déclaration de Potsdam: l'ultimatum américain.
Ce 16 juillet 1945, s'ouvre en Allemagne la Conférence de Potsdam, dans la banlieue berlinoise. Une réunion au sommet à laquelle participent le président américain Harry Truman, son chef d'état-major l'amiral William Leahy et le secrétaire d'Etat James F. Byrnes, le Premier ministre britannique Clement Atlee, Winston Churchill et Ernest Bevin, et enfin les soviétiques Joseph Staline ainsi que son ministre des Affaires étrangères, Vyacheslav Molotov.
Le but de cette conférence est de discuter sur l'occupation et le futur découpage de l'Allemagne en "zones d'occupation", de la Paix et des problèmes de l'Après-guerre en Europe, mais surtout de parvenir à un réglement de la guerre contre le Japon. Quelques heures avant son ouverture, Harry Truman a informé les délégations britannique et soviétique sur le succès du test Trinity au Nouveau-Mexique. Ce que l'Américain ignore, c'est que Staline est déjà au courant de l'existance du Projet Manhattan grâce à ses services d'espionnage.
Concernant le Japon, les "Trois Grands" établissent que l'"Empire nippon devra revenir à ses frontières de 1937". Cela implique le retrait des troupes japonaises de Chine, de Mandchourie et de Corée. La capitulation et la dissolution des forces armées est exigée.
Le 21 juillet 1945, le président américain donne son accord à l'utilisation de l'arme nucléaire contre le Japon. Trois jours plus tard, il est relayé à Henry Stimson, le Secrétaire à la Guerre.
Le 25 juillet 1945, le général Thomas Handy, de l'état-major interarmes (Joint Chiefs of Staff) envoie un ordre secret au général Carl A. Spaatz, commandant l'aviation de bombardement stratégique américaine dans le Pacifique. Cela sera le seul ordre écrit concernant l'utilisation de la bombe atomique.
Ordre secret de Thomas Handy envoyé à Carl Spaatz.
"Le 509th Composite Group de la 20th Air Force devra larguer sa première bombe spéciale dès que la météo permettra un bombardement à vue, vers le 3 août 1945 sur une des cibles sélectionnées: Hiroshima, Kokura, Niigata et Nagazaki..."
Le 26 juillet 1945, c'est la "Déclaration de Potsdam" et la publication des Accords. Le Ministre soviétique des Affaires étrangères, Vyacheslav Molotov, transmet à Tokyo, par l'intermédiaire de son ambassadeur à Moscou Natakoe Sato, l'ultimatum américain exigeant la capitulation totale et inconditionnelle des forces armées japonaises.
- "We, the President of the United States, the President of the National Government of the Republic of China, and the Prime Minister of Great Britain, representing the hundreds of millions of our countrymen, have conferred and agree that Japan shall be given an opportunity to end this war.
- "The prodigious land, sea and air forces of the United States, the British Empire and of China, many times reinforced by their armies and air fleets from the west, are poised to strike the final blows upon Japan. This military power is sustained and inspired by the determination of all the Allied Nations to prosecute the war against Japan until she ceases to resist.
- "The result of the futile and senseless German resistance to the might of the aroused free peoples of the world stands forth in awful clarity as an example to the people of Japan. The might that now converges on Japan is immeasurably greater than that which, when applied to the resisting Nazis, necessarily laid waste to the lands, the industry and the method of life of the whole German people. The full application of our military power, backed by our resolve, will mean the inevitable and complete destruction of the Japanese armed forces and just as inevitably the utter devastation of the Japanese homeland.
- "The time has come for Japan to decide whether she will continue to be controlled by those self-willed militaristic advisers whose unintelligent calculations have brought the Empire of Japan to the threshold of annihilation, or whether she will follow the path of reason.
- "Following are our terms. We will not deviate from them. There are no alternatives. We shall brook no delay.
- "There must be eliminated for all time the authority and influence of those who have deceived and misled the people of Japan into embarking on world conquest, for we insist that a new order of peace, security and justice will be impossible until irresponsible militarism is driven from the world.
- "Until such a new order is established and until there is convincing proof that Japan's war-making power is destroyed, points in Japanese territory to be designated by the Allies shall be occupied to secure the achievement of the basic objectives we are here setting forth.
- "The terms of the Cairo Declaration shall be carried out and Japanese sovereignty shall be limited to the islands of Honshu, Hokkaido, Kyushu, Shikoku and such minor islands as we determine.
- "The Japanese military forces, after being completely disarmed, shall be permitted to return to their homes with the opportunity to lead peaceful and productive lives.
- "We do not intend that the Japanese shall be enslaved as a race or destroyed as a nation, but stern justice shall be meted out to all war criminals, including those who have visited cruelties upon our prisoners. The Japanese Government shall remove all obstacles to the revival and strengthening of democratic tendencies among the Japanese people. Freedom of speech, of religion, and of thought, as well as respect for the fundamental human rights shall be established.
- "Japan shall be permitted to maintain such industries as will sustain her economy and permit the exaction of just reparations in kind, but not those which would enable her to re-arm for war. To this end, access to, as distinguished from control of, raw materials shall be permitted. Eventual Japanese participation in world trade relations shall be permitted.
- "The occupying forces of the Allies shall be withdrawn from Japan as soon as these objectives have been accomplished and there has been established in accordance with the freely expressed will of the Japanese people a peacefully inclined and responsible government.
- "We call upon the government of Japan to proclaim now the unconditional surrender of all Japanese armed forces, and to provide proper and adequate assurances of their good faith in such action. The alternative for Japan is prompt and utter destruction."
Si Tokyo n'obtempère pas, Washington menace le Japon d'une "destruction immédiate et complète". Truman, après l'expiration du délai de quarante-huit heures, approuvera l'utilisation de l'arme atomique pour mettre fin définitivement à la Seconde Guerre mondiale. Cet ultimatum n'évoque cependant pas l'utilisation de l'arme nucléaire.
A Tokyo, le Premier ministre japonais, Kantaro Suzuki, soutenu par les "Faucons" et les militaires jusqu'auboutistes, le Ministre de la Guerre Korechika Anami et le chef d'Etat-major Yoshijiro Umezu, en raison de l'absence d'indication sur le sort de l'Empereur et du trône impérial, le rejette en déclarant les Accords de Potsdam "nuls et non avenus".
Dernier voyage de l'Indianapolis.
Avant même que le test de Gadget soit mené au Nouveau-Mexique, les composants des autres bombes Little Boy et Fat Man sont acheminés en Californie pour être finalement livrer par voie maritime aux îles Mariannes. C'est le croiseur lourd Indianapolis, endommagé lors de la bataille d'Okinawa et en cours de réparation dans la baie de San Francisco, qui est désigné pour acheminer les deux engins et leur matière fissile (uranium et plutonium).
Photo ci-dessous: l'USS Indianapolis (CA-35) en mer en 1943-1944.
L'USS Indianapolis appareille de San Francisco le 16 juillet 1945, son équipage ignorant tout de la nature de son chargement. Il fait escale à Pearl Harbor trois jours plus tard, et prend ensuite le cap des îles Mariannes, où est stationné le 509th Composite Group de la 20th Air Force, l'unité spéciale chargée de mener les bombardements atomiques au-dessus du Japon et commandée par le colonel Paul Tibbets.
Le croiseur lourds atteint Tinian le 26 juillet 1945. Après avoir livré son chargement secret, il se dirige vers Guam, pour y procéder à des changements d'hommes d'équipage équipage. Il appareille de Guam le 28 juillet pour se rendre à Leyte, aux Philippines, où il doit participer à des exercices de tirs avec d'autres navires de la 7ème Flotte américaine.
Mais l'Indianapolis n'atteindra jamais Leyte. Au milieu de la mer des Philippines, dans la nuit du 30 juillet 1945 à 0h14, il est atteint par deux torpilles expédiées du sous-marin I-58 commandé par le lieutenant-commander Mochitsura Hashimoto (décédé en 2000 à l'âge de 91 ans). Touché mortellement, le navire américain sombre douze minutes plus tard.
"Près de 850 hommes d'équipage, sur un équipage de 1,200, ont le temps de se jeter à la mer avant que le navire ne disparaisse dans les flots. Mais quand les hydravions de secours arrivent enfin, le 2 août suivant, il ne reste que 318 survivants. Tous les autres sont morts d'épuisement, noyés, ou dévorés par les requins, dans ce qui reste à ce jour le pire désastre de la marine de guerre américaine." (1)
L'Indianapolis a le triste privilège d'être le dernier navire américain coulé de la Seconde Guerre mondiale.
(1) D'Iberville, Saviez-vous que... - "2339 Little Boy"
Préparation et entrainement du 509th Composite Group.
Le 509th Composite Group est une unité spécialement constituée et entraînée pour le transport des deux bombes atomiques vers leur objectif. Créée le 9 décembre 1944 et activée huit jours plus tard sur l'aérodrome de Wendover AAF, dans l'Utah, son premier commandement est confié au colonel Paul W. Tibbets, un pilote confirmé de B-17 Flying Fortress qui a combattu en Europe au sein de la 8th Air Force, d'août 1942 à septembre 1944, date à laquelle il est rapellé aux Etats-Unis.
Le 509th Composite Group regroupe deux escadrilles: le 393rd Bomb Squadron [Very Heavy], équipé de B-29 Superfortress, et le 320th Troop Carrier Squadron, chargé du transport du personnel et du matériel par C-47 Skytrain (Douglas DC-3), C-54 Skymaster (DC-4) et C-46 Commando. Etant donné sa nature hétérogène, le Groupe est affublé du qualificatif "Composite".
Travaillant en liaison avec le Site-Y de Los Alamos au Nouveau-Mexique, Tibbets sélectionne Wendover pour l'entraînement de base de ses équipages. Le 10 septembre 1944, les B-29 du 393rd Bomb Squadron, détaché de son unité d'origine, le 504th Bomb Group de Fairmont AAF, dans le Nebraska, arrive sur place.
Seuls Tibbets a été informé de la véritable nature de sa mission. Ses équipages demeurent dans l'ignorance de l'avancement du projet Manhattan. Ils s'entraînent d'ailleurs avec des enveloppes et des caractéristiques assez similaires à celle de Fat Man, mais creuses et bourrées d'explosif conventionnel TNT, et peintes en jaune-orange, d'où leur nom de "Bombes citrouilles", qui sont censées se comporter comme les véritables bombes atomiques.
En janvier et février 1945, dix équipages sont temporairement transférés sur l'aérodrome de Batista Field, à Cuba, pour y suivre un entraînement sur la navigation longue distance en milieu océanique.
Le 6 mars 1945, le 1st Ordnance Squadron [Special, Aviation] est activé à Wendover. Sa tâche est d'entraîner le personnel au sol dans l'assemblage et la manutention des bombes atomiques, la modification des soutes à bombes des B-29 et la fourniture du matériel nécessaire aux missions du 509ème Groupe.
En juin 1945, les trois squadrons du 509th Composite Group, regroupant au total 225 officiers et 1,542 hommes de troupe, sont enfin déclarés opérationnels et reçoivent leur ordre de transfert. Ils commencent leur déploiement vers Tinian, dans les îles Mariannes, où les derniers B-29 arriveront le 2 août 1945.
6 août 1945 - Objectif: Hiroshima.
Le 3 août 1945, le largage de Little Boy, la bombe atomique à l'uranium-235, prévu pour cette journée, est reporté au 6 août en raison de la météo défavorable au-dessus du Japon.
Le 5 août 1945, les conditions météorologiques s'améliorent. Le largage de Little Boy, retardé depuis deux jours, est fixé définitivement au lendemain matin. L'objectif primaire est Hiroshima. L'objectif secondaire ou de substitution, est Kokura.
A 18h30, sur l'aérodrome de North Field, Little Boy est arrimé, grâce à une fosse, dans la soute du B-29 désigné pour la mission, l'Enola Gay du colonel Paul Tibbets, commandant du 509th Composite Group, XXI Bomber Command de la 20th Air Force.
Le long briefing de Tibbets et de son équipage débute à 21h30, et se poursuit jusqu'aux environs de minuit. Les deux B-29 d'accompagnement, le premier chargés d'instruments de mesures, le second de caméras de prises de vues et de scientifiques, sont le Great Artiste et le Necessary Evil. Le décollage des trois bombardiers est programmé pour la nuit du 5 au 6 août 1945.
Plan de vol d'Enola Gay et de Bock's Car, les 6 et 9 août 1945:
Vidéos ci-dessous: documentaire de la chaine BBC-Wordwide "Hiroshima: Dropping the Bomb" (2007).
Vidéo ci-dessous: "Hiroshima: 24 hours after". Partie 1/3.
Le 6 août 1945, à l'heure prévue, 2h45 du matin, les 65 tonnes de l'Enola Gay, soit une surcharge de plus de 8 tonnes, s'arrachent avec difficulté de la piste de North Field, sur l'île de Tinian. Tibbets est suivit à deux minutes d'intervalle par les deux autres B-29 d'accompagnement Great Artiste et Necessary Evil, respectivement pilotés par le major Charles W. Sweeney et le capitaine George W. Marquardt.
A 7h30, le B-29 météo assigné à Hiroshima, Straight Flush, piloté par le capitaine Claude R. Eatherly, signale par radio à Tibbets de bonnes conditions météorologiques et une légère couverture nuageuse au-dessus de la ville. Le destin de cette ville industrielle de 280,000 habitants civils et militaires, un des plus importants noeuds de communication stratégiques de la Mer Intérieure, entre les îles Honshu, Shikoku et Kyusyu, qui abrite le QG de la 2ème Armée japonaise du général Fusataro Teshima, et une importante base navale d'où, fin novembre 1941, était parti la flotte combinée japonaise vers Pearl Harbor, et de nombreuses casernes, est désormais fixé.
A 6h, lorsque ce B-29 de reconnaissance météo était arrivé au-dessus de la ville, les sirènes retentissent et les habitants gagnent les abris anti-aériens. La "fin d'alerte" sonne aux environs de 7h. Lorsque Tibbets commence son approche au-dessus d'Hiroshima, il est 8h06. Contrairement à la fausse alerte donnée deux heures plus tôt, les autorités de la ville n'estiment pas que l'approche d'un B-29 solitaire, suivit de deux autres, constitue une menace pour la ville.
D'après certains témoignages de survivants, les habitants qui observent ce manège remarquent alors, avec une angoisse subite, que les deux avions suivant l'avion de tête s'écartent brusquement de celui-ci et s'éloignent à toute vitesse de l'endroit au-dessus duquel le premier bombardier laisse tomber un objet.
Plus tôt, à 6h30, l'expert en explosif, le capitaine William "Deak" Parsons, a installé et branché le détonateur. Quelques minutes avant le largage, à 8h10, le second lieutenant Morris R. Jeppson, est le dernier humain à toucher Little Boy lorsqu'il remplace les fusibles de sécurité par les fusibles d'armement. Tibbets donne l'ordre fatidique à 8h15 et l'opérateur-bombardier, le major Thomas Ferebee, procède au largage de la bombe atomique en visant son objectif: le pont Aioi-bashi en forme de "T" qui enjambe la rivière Ota.
A 8h15:17, Little Boy quitte la soute de l'Enola Gay à l'altitude de 9,855m. Après avoir largué sa bombe, Tibbets vire rapidement sur l'aile et s'éloigne également à pleine vitesse.
A 8h16:02, quarante-cinq secondes plus tard, la bombe atomique explose à environ 600m d'altitude, à la verticale de la clinique chirurgicale Shima, à 240m de son objectif initial, le pont Aioi-bashi. Un éclair blanc-bleuté aveuglant "comparable à mille soleils" déchire le ciel. Il est suivi d'une chaleur de fournaise.
Puis arrive l'onde de choc... Un bruit intenable "plus fort que mille tonnerres" retentit sur la ville condamnée. Une explosion d'une intensité inimaginable, jusque-là encore inconnue, projette un nuage de fumée et de débris en forme de champignon jusqu'à 15km d'altitude. Dans un rayon de 850 mètres autour de l'épicentre, il ne reste plus rien! Seuls quelques bâtiments solides, ou leurs structures, en pierres ou en béton tiennent encore debout...
L'onde de choc est suivie d'un incendie spectaculaire, qui réduit complètement en cendres une surface d'environ 12km². Environ 60,000 à 90,000 bâtiments sur 25km² sont détruits ou gravements endommagés. Etant donné que les sirènes d'alerte n'ont pas retentie, peu de personnes ont pu rejoindre les abris anti-aériens.
On ne connaîtra jamais avec exactitude le nombre des victimes d'Hiroshima. Sur le monument commémoratif érigé plus tard à l'épicentre de l'explosion figurent une liste de 61,443 noms. Plus tard, les Américains établieront le bilan de l'explosion à 139,402 victimes: 71,379 morts ou disparus, et 68,023 blessés dont 19,691 graves.
L'ironie veut que la plupart des grandes usines d'Hiroshima se trouvent dans la périphérie de la ville, et qu'elles échappent ainsi à l'anéantissement total. En 1946, l'inspection américaine qui suit, le Strategic Bombing Survey (Atomic Attacks) précise que seulement 26% de ces usines ont été detruites. Si la guerre s'était prolongée, les industries endommagés auraient pu reprendre leur activité normale.
Photos ci-dessous: 1° Le pont Aioi-bashi (à gauche) et le Mémorial de la Paix (l'épicentre de l'explosion) avec le Dôme Ganbaku et l'Hôpital Shima conservés en l'état, en août 2008. 2° Le dôme Ganbaku du Mémorial sous un autre angle de prise de vue.
9 août 1945 - Objectif: Nagazaki.
Le 9 août, à 3h49, le 509th Composite Group entame sa seconde et dernière mission atomique sur le Japon. Mais celle-ci se déroulera beaucoup moins bien que la première, trois jours plus tôt, au-dessus d'Hiroshima. Cette fois encore, l'opération est menée par un B-29 porteur et deux B-29 d'accompagnement.
Initialement, il était prévu que se soit le B-29 Great Artiste qui transporte la bombe au plutonium Fat Man, piloté par le major Charles W. Sweeney. Des difficultés techniques sur le Great Artiste pour démonter les appareils de mesure utilisés le 6 août obligent les Américains à choisir un autre B-29 pour transporter Fat Man, le Bock's Car du capitaine Frederick C. Bock. Le largage de Fat Man étant toujours confié à Sweeney, on procède à l'échange des deux équipages. C'est donc le B-29 Bock's Car piloté par Charles Sweeney qui larguera la bombe au plutonium.
Il a également été décidé la veille que la ville de Niigata était trop éloignée et ne convenait plus pour ce type d'opération. Kokura est donc désigné comme objectif primaire de cette mission, et Nagasaki comme objectif de substitution.
Deux autres B-29 étaient chargés d'observer les conditions météo au-dessus des deux cibles primaires et secondaires, le Up an' Atom du capitaine George W. Marquardt sur Kokura, et le Laggin' Dragon du capitaine Edward M. Costello sur Nagazaki.
Kokura occupe une situation intéressante, parce qu'un énorme arsenal militaire est implanté sur la pointe septentrionale de Kyushu. Nagasaki, pour sa part, est une ville industrielle importante et un grand port. Quatre usines Mitsubishi fabriquant du matériel de guerre y sont installées. Contrairement à Hiroshima, construite dans une région de delta au relief peu accentué, Nagasaki est bâtie sur plusieurs collines et dans deux vallées. Cette configuration du terrain réduira fortement les dégâts et la superficie touchée.
Fat Man est arrimée à la soute modifiée de Bock's Car le 8 août à 22h. Le briefing de l'équipage débute à 23h et se poursuit jusqu'à 2h du matin, le 9 août.
Les deux B-29 météo, Up an' Atom et Laggin' Dragon, décollent les premiers de l'aérodrome de North Field, sur Tinian, pilotés par les capitaines George W. Marquardt (Kokura) et Edward M. Costello (Nagasaki), à 2h58 du matin.
Bock's Car décolle de North Field à 3h49. Tout comme la première mission, un technicien spécialiste en armes de la marine, le lieutenant Frederick Ashworth, se trouve à bord, chargé de surveiller la bombe atomique. Mais contrairement à Little Boy, Fat Man, qui pèse 4,550kg, est armée avant le départ. Et la base évacuée par sécurité.
Les deux B-29 d'accompagnement, Great Artiste, piloté par le lieutenant Frederick C. Bock, et Big Stink du lieutenant Herman S. Zahn, piloté par le major James I. Hopkins, chargés des appareils de mesures pour l'un, des caméras de prises de vues et de scientifiques pour l'autre, font de même à 3h51 et 3h53.
Une tempête naissante oblige Bock's Car et les deux autres B-29 à se séparer en remontant vers le nord. Les trois bombardiers doivent se regrouper au dessus de l'île de Yakushima, au sud de Kyushu.
Premier ennui: Sweeney découvre en vol que les 2,730 litres de carburant d'un des réservoirs sont inutilisables à cause de la défaillance d'une pompe. Cet incident diminue sérieusement ses réserves de carburant.
En second lieu, l'Américain perd du temps et du carburant au-dessus de l'île de Yakushima, où il doit décrire de nombreux cercles pour attendre les deux autres B-29 d'accompagnement.
A 9h50, après 40 minutes d'attente, le Great Artiste rejoint le Bock's Car, mais le Big Stink se faisant attendre, et les deux bombardiers décident de poursuivre seuls leur vol vers Kokura.
A 7h38, au-dessus de Kokura, le B-29 météo Up an' Atom signale au Bock's Car des conditions météorologiques assez bonnes. Mais lorsque Sweeney arrive à proximité de Kokura, à 10h20, la ville était partiellement cachée par d'épais nuages. Bock's Car survole trois fois la ville en attendant une éclaircie, mais la visibilité n'est vraiment pas suffisante. Sweeney et Bock tournent ainsi en rond pendant vingt minutes, attendant le Big Stink. Mais celui-ci n'arrive toujours pas.
A 10h40, les deux B-29 prennent la direction de leur objectif de substitution: Nagasaki. Bock's Car et Great Artiste y arrivent à 11h56. Mais là également, le ciel est nuageux. Les réserves de carburant commençant sérieusement à diminuer, le lieutenant Frederick W. Ashworth, le navigateur-bombardier, ordonne de lâcher la bombe au radar, à la place d'un largage visuel.
Fat Man est larguée à 11h58 à 8,809m d'altitude, et explose quarante-trois seconde plus tard dans le zoning industriel au nord de la ville, à 469m d'altitude, entre deux usines Mitsubishi fabriquant du matériel de guerre, à environ cinq kilomètres de sa cible initiale. Contrairement à Hiroshima, ce n'est pas le centre-ville qui est le plus touché, mais les installations industriels de la périphérie, qui sont rasés à 68.3%. La presse japonaise ayant à peine fait mention du bombardement d'Hiroshima, trois jours plus tôt, les habitants de Nagasaki ne s'attendent pas à subir le même sort.
A 12h01, il n'y a que 400 personnes dans les abris antiaériens. Tout comme à Hiroshima, il n'y a aucune alerte aérienne. Suivant des spécialistes américains, la puissance de l'explosion devait se situer entre 700 et 5,000 tonnes de TNT (5 kT). En réalité, elle est équivalente à environ 22,000 tonnes de TNT (22 kT). Du fait du relief montagneux, la surface sinistrée est plus petite qu'à Hiroshima, et les pertes humaines beaucoup moins importantes, mais dans la surface touchée, les effets y sont plus devastateurs qu'à Hiroshima. Les collines avoisinantes absorbent une partie de la chaleur et du rayonnement et limitent la portée de l'onde de choc.
D'après les autorités japonaises, l'explosion atomique de Nagazaki fait 23,753 tués, 1,927 disparus et 23,345 blessés. Les estimations du "Strategic Bombing Survey (Atomic Attacks)" américain s'établiront de 40,000 à 70,000 morts ou disparus, et 60,000 blessés. Sweeney et Bock se dirigent ensuite vers Okinawa. A 13h20, les deux B-29 réussissent un atterrissage de fortune sur l'aérodrome de Kadena, avec les quelques dizaines de litres de carburant qu'il leur reste.
Le général Leslie Groves, directeur du projet Manhattan, écrira plus tard:
"Les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki furent les causes directes de la reddition du Japon et de la fin de la Seconde guerre mondiale. Aucun doute ne peut subsister à ce sujet! Ces bombes ont semé la mort et la destruction, mais elles ont épargné la vie à un infiniment plus grand nombre de soldats américains, britanniques... et de Japonais."
Photo ci-dessous: stèle commémorative à l'épicentre de l'explosion de Nagazaki, le 19 août 2006.
14-15 août 1945 - Capitulation inconditionnelle du Japon.
Dans la soirée du 6 août 1945, le président Harry Truman annonce aux Américains le bombardement d'Hiroshima et réitère l'ultimatum de Potsdam: "[...] Nous sommes maintenant près à anéantir rapidement et complètement les industries japonaises et leur capacité de production dans les villes. Nous détruirons leurs docks, leurs usines et leurs communications. Qu'on ne s'y trompe pas. Nous détruirons complètement la machine de guerre japonaise. Leurs dirigeants avaient promptement rejeté l'ultimatum. S'ils n'acceptent pas maintenant nos conditions, ils doivent s'attendre à un déluge de ruines venant des airs tel que l'on en a encore jamais vu sur cette terre..."
"We are now prepared to obliterate more rapidly and completely every productive enterprise the Japanese have above ground in any city. We shall destroy their docks, their factories, and their communications. Let there be no mistake. We shall completely destroy Japan's power to make war. It was to spare the Japanese people from utter destruction that the ultimatum of July 26 was issued at Potsdam. Their leaders promptly rejected that ultimatum. If they do not now accept our terms they may expect a rain of ruin from the air, the like of which has never been seen on this earth..."
Il faut préciser que durant cette journée, une série de rapports confus et parfois contradictoires est parvenue à Tokyo, annonçant qu'Hiroshima avait été la cible d'un raid aérien et complètement détruite.
Certain des politiques et des militaires japonais refusent de croire que les Américains ont construit et utilisé une bombe atomique. Les programmes nucléaires japonais sont en effet long et très laborieux. De surcroit, l'armée et la marine impériales développent chacune de leur côté leur propre programme, séparément. Ce qui complique encore leur tâche.
L'amiral Soemu Toyoda, le Chef d'état-major de la Marine impériale, soutient que si les Américains ont construit et utiliser une bombe atomique, ils n'en disposent pas d'autres. Les stratèges américains, prévoyant une réaction de ce genre, planifient une seconde mission de bombardement, pour convaincre les Japonais du contraire.
Le 8 août 1945, des rapports plus détaillés sur le bombardement d'Hiroshima parviennent à Tokyo. Mais en deux jours, la situation politique a complètement changé: l'Union Soviétique brise le Pacte de Neutralité conclut avec le Japon et lui déclare la guerre.
Quelques heures plus tard, le 9 août à 4h du matin, l'Armée Rouge déclenche une offensive en Extrême-Orient et envahit la Mandchourie sous contrôle japonais. Pour faire face à cette nouvelle "catastrophe", l'Empreur demande à son conseiller le Marquis Koichi Kido d'organiser une réunion du Conseil Suprême. Celle-ci débute à 10h30, en présence de l'Empereur. Mais les avis divergent encore et les membres du Conseil n'arrivent toujours pas à se mettre d'accord.
Togo annonce qu'il est prêt à accepter les termes de la Déclaration de Potsdam, mais qu'il a besoin de guaranties sur le sort de l'Empereur et le maintien du régime impérial. Le clan des militaires jusqu'auboutistes, représenté par Anami, y est tout à fait opposé et veut poursuivre la guerre, même si celle-ci doit entraîner "le sacrifice de la nation japonaise tout entière".
En début d'après-midi, arrive la nouvelle du bombardement atomique de Nagazaki, et cette réunion est ajournée à 17h30, sans parvenir à un consensus. Les six membres du Conseil Suprême sont divisés en deux: 3-3. Kantaro Suzuki, Shigenori Togo et Mitsumara Yonai sont favorables à la proposition de Togo sur une capitulation "négociée" et le maintien du régime impérial. Korechika Anami, Yoshijiro Umezu et Soemu Toyoda insistent pour imposer trois "conditions" supplémentaires aux Américains: les militaires japonais procèderont eux-mêmes à leur désarmement, ils jugeront eux-mêmes leurs criminels de guerre, et enfin pas d'occupation étrangère du territoire japonais.
Une seconde réunion se tient de 18h à 22h, toujours sans résultats. Suzuki et Togo s'entretiennent avec l'empereur, et Suzuki propose une conférence impériale improvisée. Celle-ci commence juste après minuit, dans la nuit du 9 au 10 août 1945.
Devant l'impasse, il survint alors un fait tout à fait sans précédent dans l'histoire du Japon: un des conseillers impériaux, le baron Hiranuma Kiichiro, se tourne vers l'Empereur et lui demande sa propre opinion sur la question. Hiro-Hito doit donc quitter son rôle d'observateur et de marionnette pour imposer sa propre décision.
Hiro-Hito sait ce qu'il lui reste à faire: il dit qu'il est d'accord avec la suggestion de son ministre des Affaires extérieures: une capitulation à une unique condition, le maintien de la Maison impériale au Japon.
Dans la matinée du 10 août 1945, le Premier ministre japonais Kantaro Suzuki envoie donc un message, via l'ambassade de Suisse à Tokyo et le diplomate suisse Max Grassi à Washington DC, au Secrétaire d'Etat James Byrne, annonçant qu'il accepte la capitulation, à condition "qu'il ne soit pas porté atteinte au statut de l'empereur Hiro-Hito".
La réponse de James Byrne, approuvée par les Britanniques et les Soviétiques, arrive à Tokyo le 12 août 1945. Soucieuse de ménager la susceptibilité japonaise et de leur laisser une porte de sortie "honorable", la réponse américaine stipule que les Alliés acceptent non plus une capitulation inconditionnelle du pays, mais uniquement de ses forces armées, que l'empereur Hiro-Hito conserverait son trône, mais qu'il devrait renoncer à son statut de "Dieu vivant" et qu'il serait soumis au commandement des troupes d'occupation américaines au Japon.
Là encore, on demande une nouvelle fois l'avis personnel de Hiro-Hito. Ce dernier presse ses conseillers d'accepter les nouvelles conditions américaines. Le gouvernement japonais suit son avis et les accepte enfin. Il renvoie sa réponse affirmative à James Byrne par l'intermédiaire de la diplomatie suisse.
La nouvelle de la capitulation du Japon devra être radiodiffusée le 15 août à partir d'un message de l'Empereur enregistré. Dans la nuit du 14 au 15 août, l'Empereur enregistre son message qui devra être radiodiffusé le lendemain. Dans ce message, le rôle de la bombe atomique y est essentiel: elle constitue une "arme nouvelle et terrible" capable de "détruire la nation japonaise", et le seul moyen de sauver des millions de vies japonaises est la reddition. L'entrée en guerre de l'Union Soviétique n'y est même pas mentionnée.
Il demande à ses compatriotes d'accepter la capitulation du Japon. Et afin d'éviter des problèmes inutiles, il conseille avec insistance à sa population de "ne pas donner libre cours à ses émotions".
Des rebondissement vont cependant précéder ce message officiel radiodiffusé: un groupe d'officiers faisant partie de l'Etat-major de l'armée impériale refusant toujours de se rendre fomentent un coup d'état. L'Empereur doit être écarté de ses conseillers pacifiques, et il fallait l'obliger à changer d'avis et à poursuivre la guerre, à n'importe quel prix.
Durant cette nuit fatidique du 14 au 15 août 1945, les conspirateurs prennent contact avec le général Takeshi Mori, commandant de la Garde impériale du Palais. Ils lui demandent de participer au coup d'état afin de sauver l'honneur de la nation japonaise. Mori écoute leurs arguments, puis déclare qu'avant de prendre une décision, il désire se recueillir quelques instants devant l'autel de Meiji.
Les conspirateurs refusent de lui accorder ce délai de réflexion. Mori est exécuté sur place. Puis les conspirateurs utilisent le sceau de leur victime pour rédiger des ordres à l'intention de la garde impériale. Enfin, ils projetent d'éliminer les conseillers de l'Empereur et d'empêcher la diffusion de son message radiophonique.
Mais le complot échoue finalement lorsque le commandant du district oriental de l'armée japonaise arrive au Palais. Il refuse de prêter main-forte aux rebelles et les oblige à renoncer à leurs projets. L'officier qui a exécuté Mori se suicide avec son arme de service sur la pelouse du Palais impérial.
Lorsque le ministre de la Guerre, Korechika Anami, un des instigateurs du coup d'Etat, apprend le retournement de la situation, le matin du 15 août, il se suicide également en se faisant harakiri. Au cours des jours qui suivent l'annonce de l'Empereur, des dizaines de militaires japonais se suicideront, ne pouvant supporter la honte de la capitulation. La population et le reste de l'Armée impériale acceptent cependant dans le calme la décision de l'Empereur.
Le 28 août 1945, le colonel Charles Tench, un membre de l'Etat-major du général Douglas MacArthur, et 150 techniciens du 68th Army Airways Communications System (ACSS) commandés par le colonel Gordon Blake, atterrissent à bord de 24 Douglas C-47 Skytrain sur l'aérodrome d'Atsugi, près de Tokyo.
Tench et les hommes de Blake préparent l'arrivée de MacArthur et des divisions américaines stationnées dans les îles Philippines et sur Okinawa. Leur arrivée était initialement prévue pour le 26 août, mais a été retardée de quarante-huit heures en raison d'un typhon au large des Philippines. Ils sont les premiers occupants étrangers à fouler le territoire de la métropole japonaise, en 2,600 ans d'histoire. Mais ceci est une autre histoire...
Série documentaire "Grandes Batailles de la Seconde Guerre mondiale"
(Henri de Turenne et Daniel Costelle) - Vidéo Youtube.
"Les Grandes Batailles" est une série d'émissions télévisées historiques de Daniel Costelle, Jean-Louis Guillaud et Henri de Turenne diffusée à la télévision française dans les années 1960 et 1970, qui décrit les principales batailles de la Seconde Guerre mondiale ainsi que le procès de Nuremberg. Les émissions donnent la parole aux officiers ayant participé à ces batailles ainsi qu'à des historiens. Ces interventions alternent avec des extraits de reportages. Les commentaires sont d'Henri de Turenne.
"Bataille du Pacifique - 2ème Partie: la reconquête" (1943-1945).
7 décembre 1941. L'agression japonaise contre la base aéronavale américaine de Pearl Harbor entraîne les Etats-Unis dans une bataille à mort sur le plus vaste théâtre d’opérations de l'histoire. Avide de conquêtes et de matières premières, le Japon instaure sa domination sur l'Asie, jusqu'à la victoire américaine de Midway du printemps 1942, qui sonne l'heure du reflux. Les archives des forces alliées et japonaises restituent l'irrésistible ascension japonaise et cet affrontement aéronaval spectaculaire. Ce documentaire montre chaque étape de la bataille du Pacifique: de la sauvagerie des combats sur les plages et dans la jungle des îles du Pacifique à l'apocalypse nucléaire qui s'abat sur le Japon en août 1945.
Article modifié le 6 août 2020.
Sources principales:
• Manhattan Project (Wikipedia.org) (Wikipedia.org)
• Hiroshima and Nagazaki (Wikipedia.org)
3 comments:
Signalons que les B-29 du 509th Composite Group avait était spécialement construit pour le transport de l'arme atomique à Omaha :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Usine_Glenn_L._Martin_d%27Omaha
Et, cocorico, le premier brevet sur la bombe atomique est français :)
http://v3.espacenet.com/publicationDetails/originalDocument?CC=FR&NR=971324&KC=&locale=LG_ep&FT=E
Demande déposé le 4 mai 1939 par Frédéric et Irène Joliot-Curie, Hans Halban et Lew Kowarski.
les américains sont des putes et de assassins
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