Dien Bien Phu est une des dernières et la plus importante bataille livrée par le Corps Expéditionnaire Français d'Extrême-Orient en Indochine. Celui-ci, commandé par le général Henri Eugène Navarre, est opposé au mouvement Vietminh et au parti communiste indochinois, dirigé par Nguyen Sinh Cung, universellement connu sous le surnom de "Ho Chi Minh", et Vo Nguyen Giap. Le Vietminh est financé et équipé par la République Populaire de Chine, et dans une moindre mesure, par l'Union Soviétique. En juillet 1954, la défaite de Navarre entraîne les Accords de Genève et le début de la décolonisation française, et l'Indochine se retrouve partitionnée en deux entitées: le Sud-Vietnam nationaliste et le Nord-Vietnam communiste, séparés par le Dix-Septième Parallèle et une zone démilitarisée.
Géographie et démographie de Dien Bien Phu.
Dien Bien Phu est à la fois le nom du village et le nom du district où s'est déroulée la bataille. Simple hameau ne comptant qu'une centaine d'âmes en 1953, elle est aujourd'hui une ville de moyenne importance florissante et prospère de 125,000 habitants, vivant du commerce du bois et du tourisme. Les projections démographiques estiment à 150,000 habitants la population d'ici l'année 2020. (1)
La majorité de la population fait d'ailleurs partie du groupe ethnique Thai, les Vietnamiens ne formant qu'environ un tier.
Géographiquement, la localité est située dans la vallée de Muong Thanh, un bassin de 20km de long sur 6km de large, à environ 35km de la frontière laotienne. La ville faisait partie de la province de Dien Bien et en 2004, elle a été ratâchée à la province de Lai Chau.
Photos ci-dessous: 1° Arrivée d'un An-26 Curl de Vietnam Airlines sur l'aéroport local de Dien Bien Phu (27 mars 2007). 2° Hotel Him Lam en 2016. 3° et 4° Ville de Dien Bien Phu en 2010.
(1) Dien Bien Phu: Development and Conservation in a Vietnamese Cultural Landscape
Contexte historique.
L'Indochine appartient à l'empire colonial français depuis la fin du 19ème siècle. Les territoires français sont administrés en trois colonies, le Tonkin au nord, l'Annam au centre, et la Cochinchine au sud, ainsi qu'en deux "protectorats", le Laos et le Cambodge.
En mars 1945, les Japonais font brutalement main basse sur l'Indochine. Après la capitulation nippone, six mois plus tard, le mouvement Vietminh dirigé par Ho Chi Minh proclame l'"indépendance" de l'Indochine. Après avoir tenté de négocier avec le Vietminh, la France décide de reprendre militairement ses colonies et envoit, en 1946, un Corps Expéditionnaire Français d'Extrême-Orient (CEFEO).
Après la victoire des communistes de Mao Zedong sur les nationalistes de Chang Kai-Chek et la proclamation de la République populaire de Chine, en octobre 1949, le Vietminh commence à bénéficier d'une aide matériel et logistique chinoise massive. Grâce à cela, le Vietminh constitue un solide corps de bataille de plusieurs dizaines de milliers d'hommes, commandés par le général Vo Nguyen Giap.
En octobre 1950, après avoir constitué et entrainé son armée, Giap passe à l'offensive. Il chasse les Français de la zone frontalière avec la Chine. Temporairement stoppé au cours de la bataille de Hoa Binh au printemps 1952, il repart à l'assaut et conquiert le Laos à la fin de cette année. Pour anéantir le Vietminh une bonne fois pour toute, le CEFEO décide de fixer ses forces. En novembre 1953, dans cette optique, il lance une opération aéroportée près de la frontière laotienne, dans le Haut Tonkin, chasse la petite garnison ennemie locale, et entame la construction d'une base à Dien Bien Phu.
Concept de la "Défense hérisson".
En 1953, la "Guerre d'Indochine", tout comme la Guerre du Vietnam le sera aux Etats-Unis quelques années plus tard, est devenue très impopulaire dans l'opinion publique. Une succession de commandants en chef (Philippe "Leclerc" de Hautecloque, Jean-Etienne Valluy, Roger Blazot, Jean de Lattre de Tassigny et Raoul Salan) se sont montrés incapables de "mater" l'insurrection du Vietminh.
Durant la campagne lancée pendant l'hiver 1952-1953 par Giap, les territoires contrôlés par le Vietminh finissent même par s'étendre au Laos voisin, ses troupes progressant jusqu'à la capitale provinciale Luang Prabang et la Plaine des Jarres.
En mai 1953, pour reprendre l'initiative, le Premier ministre français René Mayer nomme le général Henri Navarre commandant en chef des "Forces de l'Union Française" en Indochine, en remplacement de Raoul Salan. Inspiré des enseignements tirés de la Bataille de Na San, au cours de laquelle l'armée française a établit un solide camp retranché près de la frontière laotienne et a infligé des pertes terribles à l'ennemi, Navarre décide de rééditer l'exploit, cette fois à une plus large échelle encore.
Le mois suivant, le général René Cogny, commandant la région militaire du Golfe du Tonkin, propose Dien Bien Phu comme cible, ce choix étant bientôt approuvé par Navarre. Des critiques sont émises par certains officiers supérieurs, dont le colonel Jean-Louis Nicot, commandant de l'aviation de transport, mais Navarre les rejette lors de la réunion d'état-major qui se tient le 17 novembre 1953, et fixe définitivement le déclenchement de l'opération trois jours plus tard.
A Na San (23 novembre - 2 décembre 1952) les Bodoïs de Giap s'étaient littérallement cassé les dents contre les positions fortifiées du camp retranché, celui-ci étant ravitaillé uniquement par voie aérienne. Même si à la fin, les Français ont du abandonner cette base, la réussite de l'évacuation (aérienne) et les pertes occasionnées à l'ennemi renforcent la conviction de Navarre dans ce système de "Défense hérisson" (Hedgehogs Defense), dans l'espoir d'"user" à la longue les divisions Vietminh.
Carte ci-dessous: bataille de Na San et système de "défense hérisson".
Opération Castor et occupation de Dien Bien Phu (20-22 novembre 1953).
Castor est le nom de code de l'opération aéroportée dont l'objectif est l'établissement d'une enclave dans la province de Dien Bien, en territoire contrôlé par le Vietminh, dans le nord-ouest de l'Indochine. Tout comme à Na San, l'idée générale du plan français est de couper les voies de ravitaillement ennemies venant du Laos, d'y attirer les divisions de Giap et de les anéantir dans une bataille d'usure (Attrition War).
L'opération est confiée au général de Brigade Jean Marcellin Gilles et débute le 20 novembre 1953 à 10h30. Les parachutages sont prévus pour s'échalonner les deux jours suivants, sur quarante-huit heures.
Le 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC) du major Marcel Bigeard et le 2ème Bataillon du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes (2/1 RCP) commandé par le major Jean Bréchignac y participent, et seront acheminer par 65 C-47 Skytrain/Dakota et 12 C-119 Flying Boxcar, en deux vagues d'assaut, une le matin et l'autre le soir.
Leur objectif est la capture de l'aérodrome local, construit par les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans cette première vague, ont également pris place le 17ème Régiment aéroporté du génie, chargé de remettre les installations en fonction, et l'état-major du Groupement Aéroporté 1 (GAP 1). Ils sont suivis en fin d'après-midi par le 1er Bataillon de Parachutistes Coloniaux (1 BPC), des éléments du 35ème Régiment d'Artillerie Légère Parachutiste (35 RALP) et d'autres unités de soutien logistiques.
Le jour suivant, 21 novembre 1953, c'est le tour du Groupement Aéroporté 2 (GAP 2): l'état-major et la compagnie QG de Jean Gilles, le 1er Bataillon Etranger de Parachutistes, le 8ème Bataillon de Parachutistes de Choc (8 BPC) et d'autres éléments de soutien.
Le 22 novembre 1953, les dernières troupes sont larguées dans la vallée. Il s'agit du 5ème Bataillon de Parachutistes Vietnamiens (5 BPVN). Dans le vol, a pris place Brigitte Friang, une journaliste correspondante de guerre et ancienne membre de la Résistance, arrêtée par la Gestapo en 1943 et déportée au camp de concentration de Ravensbrück. Elle est fraîchement diplomée de saut et a obtenu une autorisation spéciale du général de Navarre pour participer à l'opération Castor. (2)
Carte ci-dessous: positions françaises le 22 novembre 1953.
Photo ci-dessous: patrouille du 8 BPC autour de Dien Bien Phu.
Soit un effectif total de 4,195 parachutistes. Les largages s'effectuent correctement suivant l'horaire fixé, et dans la soirée du 22 novembre, tous les objectifs ont été atteints. L'unité Vietminh présente dans la vallée, un bataillon du 148ème Régiment d'Infanterie Indépendant, a été anéantie, le village et l'aérodrome de Dien Bien Phu sont sous contrôle.
Ordre de bataille initial de l'opération Castor (20-22 novembre 1953).
Groupement Aéroporté 2 (GAP 2).
Commencent alors les travaux consistant à établir et fortifier le camp retranché français. Fin novembre 1953, d'autres parachutages sont effectués. Six autres bataillons et de l'artillerie supplémentaire viennent renforcer les effectifs déjà sur place. Notamment 8 obusiers de 105mm de la Batterie d'Artillerie Autonome laotienne et des mortiers de 120mm de la 1ère Compagnie Etrangère de Mortiers Lourds (1 CEPLM).
Le 12 décembre 1953, le commandement du camps retranché est confié au colonel Christian de Castries, un officier de blindés, et à son adjoint, le lieutenant-colonel Pierre Langlais. L'artillerie française, six batteries de 105mm et trois batteries de 120mm, est confiée au colonel Charles Piroth et disposée sur les collines qui entourent et dominent l'aérodrome.
Photo ci-dessous: le colonel Christian de Castrie à Dien Bien Phu, au début de l'année 1954.
Le 12 mars 1954, la garnison française de Dien Bien Phu compte 10,814 hommes: troupes de la Légion Etrangère, coloniales d'Afrique du Nord (algériennes ou marocaines), ainsi qu'un bataillon de parachutistes vietnamien. En comptant les renforts pendant la bataille, jusqu'en mai, les effectifs totaux se chiffreront à environ 16,000 hommes.
(2) Oeuvres de Brigitte Friang: Les Fleurs du ciel, Paris, Robert Laffont, 1955. La Mousson de la liberté. Vietnam, du colonialisme au stalinisme, Paris, Plon, 1976.
Riposte du Vietminh (23 novembre 1953 - 12 mars 1954).
Dès le 23 novembre 1953, Le Vietminh réagit à l'attaque française et les Divisions 304, 308, 312 et 316, ainsi que la Division d'Artillerie/Génie 351, convergent vers Dien Bien Phu. Le 27 décembre, l'encerclement du camp retranché français est complet.
Photo ci-dessous: l'état-major vietminh pendant la bataille de Dien Bien Phu. De gauche à droite: Pham Van Dong, Ho Chi Minh, Truong Chinh et Vo Nguyen Giap.
En mars 1954, les effectifs Vietminh totaliseront environ 50,000 soldats. Si l'on prend en compte les renforts et les unités logistiques, le total est estimé à 80,000 hommes.
Photo ci-dessous: pièces d'artillerie AA mises en oeuvres par le Vietminh, conservées au Musée de Dien Bien Phu. 2 août 1997.
Le "Système Renault" pour acheminer le ravitaillement du Vietminh jusqu'à Dien Bien Phu.
Le Haut commandement français en Indochine prend connaissance à la fin de février 1954 de l'effort engagé par le Vietminh. Vu son ampleur, l'évacuation de la garnison de Dien Bien Phu vers le Laos ou la constitution de colonnes de secours sont envisagées. Mais, une nouvelle fois, la menace est sous-estimée par les Français, qui souhaitent la "bataille finale" pour porter un coup décisif à l'ennemi.
Des attaques d'infanterie vietminh ont lieu contre Dien Bien Phu dès le 26 janvier 1954. Mais non-coordonnées et privées de l'appui d'artillerie, elles échouent. Giap change alors radicalement de stratégie et décide d'attendre que ses unités d'artillerie soit en position.
Photo ci-dessous: maréchal Vo Nguyen Giap en 2008, à l'âge de 97 ans.
Ordre de bataille français (13 mars 1954).
Sur les 10,814 hommes présents dans le camp retranché le 13 mars 1954, 2,969 appartiennent à la Légion Etrangère: le 3ème Bataillon de la 13ème Demi-Brigade (3/13 DBLE) occupe le point d'appui Béatrice, au nord-est. Son 1er Bataillon (1/13 DBLE) est sur le point d'appui Claudine, couvrant le flanc ouest du PC-GONO (Groupe Opérationnel du Nord-Ouest). Le 1er Bataillon du 2ème Régiment Etranger d'Infanterie (1/2 REI) protège directement la piste d'aviation sur le même flanc avec les sept points d'appui Huguette. Le 3ème Bataillon du 3ème REI (3/3 REI) se trouve sur une position située 4km au sud du PC-GONO, Isabelle. Le 1er Bataillon Etranger de Parachutistes (1 BEP) est placé en réserve. Enfin, les 1ère et 2ème Compagnies de Mortiers Mixtes de la Légion Etrangère (CMMLE) et la 1ère Compagnie Etrangère de Mortiers Lourds (1 CEPML) sont en soutien autour de la position centrale ou dispersées au profit des unités.
Trois Bataillons de Tirailleurs Algériens (2/1 RTA, 3/3 RTA et 5/7 RTA), un Bataillon de Tirailleurs Marocains (1/4 RTM), deux Bataillons Thaï (BT 2 et BT 3), le 8ème Bataillon de Parachutistes de Choc (8 BPC), le 2ème Bataillon du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes (2/1 RCP), le 5ème Bataillon de Parachutistes Vietnamiens, le 3ème Escadron du 1er Régiment de Chasseurs à Cheval (3/1 RCC), avec 10 chars M24 Chaffee (démontés puis réassemblés sur place), plus diverses unités d'artillerie, du génie, de transmissions, de services administratifs et de santé, constituent le reste de la garnison.
Groupe Opérationnel du Nord-Ouest (PC-GONO). Colonel Christian de Castrie.
1° Commandement.
2° Infanterie.
3° Parachutistes.
4° Blindés.
5° Artillerie.
6° Génie.
7° Services de Santé.
8° Service, Logistique et soutien.
9° Armée de l'Air / Dien Bien Phu.
10° Soutien aérien extérieur.
11° Aéronavale.
Bataille de Dien Bien Phu (13 mars - 7 mai 1954).
Avant l'assaut général, Giap a fait installer dans le plus grand secret ses pièces d'artillerie et du matériel lourd en pièces détachées, tirés mètre par mètre par des dizaines d'hommes, sur les flancs des montagnes qui dominent Dien Bien Phu, qui permettront un pilonnage systématique des positions françaises. Il envoit régulièrement des patrouilles pour tester les défenses françaises. Les Français font de même en tentant quelques sorties hors du camp. Ces escarmouches épisodiques n'inquiètent pas l'état-major de De Castries, qui attend un assaut ennemi massif.
Photo ci-dessous: char léger M24 Chaffee à Dien Bien Phu.
1° Assaut et premier succès vietminh sur Beatrice (13-14 mars 1954).
Le 13 mars 1954 à 17h15, le "festival pyrotechnique" commence. L'ensemble du camp retranché subit un barrage d'artillerie d'une violence inouïe. Les Français sont complètement surpris: ils ne s'attendaient pas du tout à un pilonnage vietminh de cette ampleur. Leurs pièces d'artillerie et leurs postes de commandement sont particulièrement visés. Toutes les mesures de contre-batterie se révèleront inefficaces. (3)
Carte ci-dessous: positions françaises et premiers affrontements des 13, 14 et 15 mars 1954 (source: archives de l'armée vietnamienne).
Au pied de Dominique-2, les servants de mortiers lourds de 120mm de la Légion sont décimés. Sur Béatrice, le 3/13 DBLE disparaît sous le déluge de feu adverse. Les positions des Légionnaires sont pulvérisées et les pertes augmentent rapidement. Vers 18h15, un obus touche de plein fouet le PC du bataillon, tuant le major Paul Pégot et son état-major au complet. Puis c'est le tour des commandants des 9ème et 11ème Compagnies du 3ème Bataillon. Au bout de deux heures de bombardement, l'assaut vietminh commence avec deux régiments de la Division 312, opposés à deux compagnies malmenées de Légionnaires.
Le 14 mars 1954, vers 3h du matin, la Division 312 se rend maître du point d'appui Beatrice. Les Légionnaires ont perdu en quelques heures 500 tués et disparus. Les pertes vietminh s'élèvent à environ 600 tués et 1,200 blessés. (4)
Dans la matinée, 66 survivants de la 9ème Compagnie du 3/13 DBLE parviennent à rejoindre les lignes françaises. Le Vietminh restituera également 14 blessés graves, dont le lieutenant Etienne Turpin, évacué le jour même par avion. Le 3ème Bataillon de la 13ème DBLE, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, a disparu en l'espace d'une seule nuit. La 13ème DBLE est d'autant plus éprouvée qu'elle perd son commandant, le colonel Jules Gaucher, tué avec plusieurs membres de son état-major le 14 mars vers 19h45 par un obus.
Les bombardements de l'artillerie vietminh se poursuivent pendant toute cette journée. A 14h, trois chasseurs-bombardiers F-8 Bearcat évacuent la base. Les six autres ont été détruits ou endommagés sur la piste. Désormais, l'appui aérien parviendra des bases du Golfe du Tonkin, distantes de 300km. Les avions de transport et de ravitaillement C-47 Skytrain commencent également à subir des pertes, la défense AA vietminh devenant chaque jour plus dense et efficace.
(3) Le commandant de l'artillerie française, le colonel Charles Piroth, devant l'impuissance de ses tirs de contre-batteries, se suicidera deux jours plus tard, le 15 mars 1954.
(4) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 236.
2° Point d'appui Gabrielle (14-15 mars 1954).
Le second objectif du Vietminh est le point d'appui Gabrielle, défendu par le 5ème Bataillon du 7ème Régiment de Tirailleurs Algériens (5/7 RTA). Par ailleurs, le bois ne manquant pas aux alentours de la position, les blockhaus de Gabrielle sont réputés être les plus solides du camp retranché. La colline est d'ailleurs surnommée Le Torpilleur.
Après deux heures de préparation d'artillerie, deux régiments de la Division 308 montent à l'assaut sans succès et buttent contre les défenseurs algériens. En quelques heures, la division vietminh est saignée à blanc. Vers 4h du matin, le 15 mars, un obus touche le PC du bataillon, blessant sérieusement le major Roland de Mecquenem et plusieurs membres de son état-major. (5)
Le 15 mars 1954, vers 3h du matin, le Régiment 165 de la division 312, qui n'a pas été engagé sur Béatrice, prend la relève. Lentement, les défenseurs algériens sont submergés. Le colonel Christian de Castries ordonne une contre-attaque à l'aube pour rallier le 5/7 RTA.
Le 1/2 REI fournit deux compagnies. Arrivé en renfort par air pendant la journée précédente, le 5 BPVN participe également à l'opération, mais celui-ci est sous le feu constant de l'artillerie vietminh et subit de lourdes pertes, car il lui faut parcourir un kilomètre de nuit sur un terrain inconnu pour rejoindre la base de départ. Les légionnaires bousculent le bataillon vietminh placé en bouchon avec l'aide des chars Chaffee du 3/1 RCC. Vers 8h, ils ont presque atteint Gabrielle, quand ils aperçoivent des survivants du 5/7 RTA qui se replient et abandonnent le point d'appui. Les derniers Algériens de Gabrielle vont pourtant résister jusqu'à 13h.
La prise de cette position française coûte au Vietminh 2,000 tués (6), et aux défenseurs environ 500 tués et disparus. Mal coordonnée, la contre-attaque a échoué alors que tout restait possible. La panique règne désormais dans le camp retranché. Les chefs en place semblent incapable de reprendre la situation en main. Seul l'adjoint de De Castries, le lieutenant-colonel Paul Langlais, commandant des parachutistes de Dien Bien Phu, conserve son sang-froid.
3° Point d'appui Anne-Marie (16-17 mars 1954).
En raison des pertes subies, Giap rennonce provisoirement à l'attaque du point d'appui Anne-Marie, son troisième objectif. La Division 308 a effectivement perdu 1,500 tués dans l'attaque de Gabrielle, et la Division 312, 500 tués. Les blessés se comptant par milliers.
Anne-Marie est défendue par le 3ème Bataillon Thaï (BT 3). Mais le matin du 17 mars 1954, démoralisés par la perte de Béatrice et Gabrielle, la plupart de ceux-ci se débandent, ce qui force le reste des défenseurs français (2 CMMLE) et thaïs à abandonner la position. (7)
(5) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 237.
(6) Davidson, Philips. Page 238.
(7) Davidson, Philips. Page 239.
4° Période d'accalmie et crise du commandement français (16-30 mars 1954).
Le 16 mars 1954, l'espoir renaît un peu: le 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC) du major Marcel Bigeard saute dans la Cuvette. Du 17 au 30 mars, c'est la période d'accalmie. Le Vietminh en profite pour consolider ses positions et panser ses plaies. Il encercle totalement la zone centrale du camp retranché français, formé des points d'appui Dominique, Eliane, Claudine et Huguette. Isabelle, au sud, avec ses 1,809 défenseurs (3/3 REI, 2/1 RTA et 3/10 RAC), se retrouve totalement isolé du reste de la garnison et forme une seconde poche de résistance. (8)
Les français en profitent également pour s'"enterrer" un peu plus et chaque nuit, ils entendent les Bodoïs du Vietminh creuser un réseau de tranchées autour de leur position, qui se rapproche toujours un peu plus.
Durant cette période d'accalmie, l'état-major français affrontent d'ailleurs plusieurs "crises du commandement", et les défenseurs ont bien besoin de ça! Il est devenu évident, aux yeux d'une partie des officiers du PC-GONO, et c'est un sentiment partagé par le général René Cogny himself, "Général Vitesse", à Hanoi, que De Castries est devenu incompétent et inapte à assurer le commandement de Dien Bien Phu.
Photo ci-dessous: état-major du PC-GONO. De gauche à droite, le major Maurice Guirad (1 BEP), le capitaine André Botella (5 BPVN), le major Marcel "Bruno" Bigeard (6 BPC), le capitaine Pierre Tourret (8 BPC), le lieutenant-colonel Pierre C. Langlais, commandant en chef du Groupement Aéroporté 2 à Dien Bien Phu, et le major Hubert de Séguin-Pazzis, chef d'état-major.
Le 17 mars, René Cogny tente de rallier par air le camp retranché pour reprendre personnellement le commandement en main. Mais au-dessus de Dien Bien Phu, son avion est violemment pris pour cible par la DCA adverse et sérieusement touché. Il envisage de sauter en parachute, mais les membres de son état-major l'en disuade. (9)
De Castries s'est isolé du reste du PC-GONO et est relevé de son commandement. Le 26 mars 1954, c'est le lieutenant-colonel Pierre Langlais, qui assume déjà le commandement des unités parachutistes, reprend le commandement de l'ensemble du camp retranché français.
Ce qui fait que le commandement français de Dien Bien Phu se retrouve divisé en deux camps: les pro-De Castrie et les pro-Langlais. C'est une situation inextricable, et les deux officiers français parviennent à un accord tacite: De Castries continuera à commander en apparance, mais c'est Langlais qui désormais assume le commandement effectif de la garnison. Et Bigeard reprend le commandement des troupes aéroportées.
Durant cette période, Dien Bien Phu est ravitaillé par air, mais la DCA Vietminh prélève un lourd tribut sur les avions de transport français. Si bien que le 28 mars, le major Marcel Bigeard lance une opération pour éliminer les canons AA ennemis.
L'attaque, menée par le 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC) et le 8ème Bataillon de Parachutistes de Choc (8 BPC ou 8 BC), avec le 1er Bataillon Etranger de Parachutistes (1 BEP) en réserve, réussit pleinement et plus de 350 soldats Vietminh sont tués, un bon nombre de pièces AA de la Division 351 réduites au silence. Pour le prix de 20 pertes du côté français. (10)
Le moral français remonte en flèche, mais ce n'est hélas que "le calme avant la tempête".
(8) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 279.
(9) Davidson, Phillip. Pages 240-241.
(10) Davidson, Phillip. Page 244-245.
5° Assaut contre les positions centrales françaises (30 mars - 5 avril 1954).
La phase suivante de la bataille (30 mars - 5 avril 1954) est un assaut frontal massif de l'infanterie vietminh contre les positions centrales françaises, et en particulier Eliane et Dominique. Ces deux points d'appui sont défendus par un mélange de troupes de la Légion Etrangère, de Coloniaux, de Tirailleurs algériens ou marocains, de Vietnamiens et de Thaïs.
Photo ci-dessous: les positions françaises sous un déluge de feu de l'artillerie vietminh.
Le 30 mars 1954, à 19h, précédée d'un véritable déluge de feu, la Division Vietminh 312 monte à l'assaut et submerge Dominique-1 et Dominique-2. Sur Dominique-3, la seule position qui s'épare encore la Division 312 du QG français (PC-GONO), les obusiers de 105mm du 2/4 RAC tirent à vue en élévation "0-Degré" (pratiquement à bout portant) contre les vagues d'assaut ennemies, et d'autres batteries d'artillerie sur l'aérodrome ouvrent également le feu en utilisant des pièces AA. Ce qui force le Vietminh à stopper sa progression et à se retirer, ce qui permet d'éviter in-extrémis le désastre.
Photo ci-dessous: le 30 mars, les Bodoïs de la Division 312 montent à l'assaut des positions Dominique-1 et Dominique-2.
Sur les collines Eliane, le scénario est similaire. La Division Vietminh 316 s'empare d'Eliane-1, défendue par le 1/4 RTM. Après quatre heures de résistance désespérée, les Tirailleurs Marocains doivent abandonner leur position. Puis les Légionnaires d'Eliane-2 (1 BEP) parviennent à rallier les survivants du 1/4 RTM. Mais eux-mêmes succombent aux environs de minuit.
Juste après minuit, le 31 mars 1954, le commandement français de Langlais organise une contre-attaque dans le but de reprendre Eliane-2. Le 6 BPC et la 2ème Compagnie du 1 BEP reprennent la position et force le Vietminh au retrait.
Une autre contre-attaque française reprend Dominique-2 et Eliane-1. Mais le Vietminh reprend ses assauts. Les Français, manquant de réserves, doivent abandonner de nouveau les deux positions dans la nuit du 1er avril 1954. (11) Des renforts français sont également envoyés vers Isabelle, 4km au sud, mais ceux-ci n'arrivent pas à rallier le point d'appui et doivent faire demi-tour.
Dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1954, Langlais ordonne à Bigeard d'abandonner les positions Eliane et de traverser la Nam Yum, mais ce dernier refuse. Sur Eliane-2, le 1 BEP, avec l'appui des chars Chaffee du 3/1 RCC, tient fermement ses positions. La Division 316 reprend ses attaques mais les Bodoïs sont taillés en pièce et refoulés.
Le 1er avril 1954, les premiers éléments du 2ème Bataillon du 1er Régiment Colonial Parachutistes (2/1 RCP) du major Jean Bréchignac, en provenance d'Hanoi, saute au-dessus d'Eliane-2 et viennent renforcer le point d'appui français.
A l'ouest, la Division Vietminh 308 parvient brièvement à s'emparer d'Huguette-7 (1/2 REI) au prix de terribles pertes, avant d'en être chassée par une contre-attaque du 8 BPC et quelques chars du 3/1 RCC dans la soirée du 1er avril 1954.
Dans la nuit du 1er au 2 avril 1954, le reste du 2/1 RCP saute en parachute. Dans la nuit du 3 au 4 avril, la Division 308 lance des attaques contre Huguette-6, défendu par la 1ère Compagnie du 1/2 REI, des éléments du 1/13 DBLE et du 8 BPC. Mais les Français s'accrochent au terrain et résistent désespérément. A l'aube du 4 avril, l'aviation française se joint à l'artillerie pour matraquer les Bodoïs survivants.
Photo ci-dessous: légionnaires français sur Huguette-6.
A l'aube du 5 avril 1954, le Vietminh jette l'éponge. Depuis le 30 mars, ses attaques lui ont coûté 6,000 tués, de 8,000 à 10,000 blessés, et 2,500 capturés. Giap suspend ses opérations et attend des renforts en provenance du Laos, le moral de ses troupes est au plus bas. En attendant, il poursuit le développement du réseau de tranchées autour du camp français. (12)
(11) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 248.
(12) Davidson, Phillip. Page 257.
6° Travaux de sappe vietminh (5-30 avril 1954).
Le 5 avril 1954, Giap change de tactique et fait développer considérablement les réseaux de tranchées qui entourent les positions françaises.
Le 10 avril 1954, les Français lancent une contre-attaque pour reprendre Eliane-1 et lever la menace directe qu'elle représente pour Elian-4. L'attaque, comme Bigeard l'a demandé, est précédé d'un court pilonnage d'artillerie. Celui-ci utilise de petites unités d'infiltration à la place d'un assaut frontale direct. Le Vietminh lance à son tour des attaques pour reprendre la position perdue.
Au cours de cette journée, Eliane-1 changera de main sept fois, mais à l'aube du 11 avril 1954, les Français contrôlent la position. Le Vietminh lance une ultime attaque le 12 avril pour reprendre Eliane-1, mais est refoulé. (13)
Durant ces combats pour Eliane-1, de l'autre côté du camp français, les réseaux de tranchées vietminh encerclent presque entièrement Huguette-1 et Huguette-6.
Dans la nuit du 10 au 11 avril 1954, la garnison d'Huguette-1 attaque les tranchées vietminh dans l'espoir de briser son encerclement. Attaques répétées les 14/15 avril et 16/17 avril.
Devant l'inutilité de ces attaques et les pertes croissantes qu'elles entraînent, Langlais ordonne le 18 avril d'abandonner définitivement Huguette-6. Ses défenseurs tentent une sortie pour rejoindre les lignes françaises, mais seul un petit nombre d'entre-eux y parviendra. (14)
Le Vietminh poursuit les travaux de sappe autour d'Huguette-1 et, le 22 avril 1954, la position française est totalement submergée et perdue. Avec la perte d'Huguette-1, le Vietminh contrôle maintenant 90% de l'aérodrome, ce qui rend fort périlleux et aléatoires les parachutages d'armes, d'approvisionnement et de renforts français.
Le lendemain, 23 avril 1954, les Français lancent une attaque dans l'espoir de reprendre Huguette-1, mais celle-ci est repoussée.
A Hanoi, bien que tout le monde sait que tout est perdu, l'état-major organise des recrutements destinés à être parachuter sur Dien Bien Phu. Des centaines de personnes, civils ou militaires, formant un ensemble hétéroclite d'origines sociales diverses, y répondent. Ils n'ont jamais sauté en parachutes et seront une cible de choix pour le Vietminh, mais "tentent le coup". Leur motivation est d'aller se battre "pour aider les copains" ou pour "l'honneur". Une fois arrivés sur zone, en raison de la confusion et de la pagaille qui règnent dans le camp retranché, une partie d'entre-eux atterrit même chez l'ennemi. (15)
Le Vietminh utilise la même technique de sappe, lente mais inexorable et implacable, contre Isabelle, au sud, où à la fin du mois, les défenseurs se retrouveront à court d'eau potable, de vivres et de munitions. (16)
Ci-dessous: blessés français attendant d'être évacués du Chaudron. Jusqu'à la fin, les C-47 de l'Armée de l'Air essaieront de sauver le maximum de personnes.
(13) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 265.
(14) Davidson, Phillip. Pages 258 et 260.
(15) Pierre Schoendoerffer, Dien Bien Phu, 1991.
(16) Davidson, Phillip. Page 260.
7° Assaut final (1er-7 mai 1954).
Les Bodoïs lancent l'attaque finale contre les défenseurs français épuisés dans la nuit du 30 avril au 1er mai 1954. Ils emportent Eliane-1, Dominique-3 et Huguette-5. Eliane-2 parvient à résister et refoule les vagues d'assaut ennemies.
Le 6 mai 1954, le Vietminh lance une autre attaque massive contre Eliane-2. Au cours de cet assaut, le Vietminh emploit pour la première fois des fusées Katioucha. (17)
L'artillerie français innove également: elle met au point les tirs de saturation TOT (Time On Target), où les obus des différentes batteries d'artillerie arrivent au même moment sur leurs objectifs. Ces barrages d'artillerie en général causent des ravages dans les rangs de l'infanterie ennemie et brise les attaques du Vietminh. (18)
Dans la nuit du 6 au 7 mai 1954, vers 2h du matin, les Bodoïs qui ont creusé des galleries souterraines sous Eliane-2 et les ont bourré d'explosif, font sauter littéralement le sommet de la position française. Sur les autres points d'appui, les vagues d'assaut de l'infanterie Vietminh se succèdent sans arrêt et, peu à peu, les défenseurs sont submergés. (19)
A l'aube du 7 mai 1954, Giap ordonne une ultime attaque massive contre le reste du camp retranché français. Vers 17h, Christian De Castries envoit un dernier message radio au GQG français à Hanoi: "Les Viets sont partout. La situation est très grave. Les combats sont confus et je sens qu'ils approchent. La fin est imminente, mais nous combattrons jusqu'au bout..."
Le général René Cogny lui répond: "Bien compris. Vous combattrez jusqu'à la fin. Il est hors de question de hisser le drapeau blanc après votre résistance héroïque." (20)
En fin de journée, c'est la fin: toutes les positions centrales françaises ont succombé. Les défenseurs d'Isabelle qui tiennent encore, 4km au sud du PC-GONO, effectuent une sortie pour échapper à l'encerclement du Vietminh. Seuls 70 survivants, sur une garnison initiale d'environ 1,700 hommes, parviendront à s'échapper et à gagner le Laos. (21)
Photo ci-dessous: les soldats Vietminh de la division 316 investissent le PC-GONO dans la soirée du 7 mai 1954.
(17) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 236.
(18) Davidson, Phillip. Page 261.
(19) Davidson, Phillip. Page 262.
(20) Time Magazine, The Fall of Dien Bien Phu, 17 mai 1954.
(21) Davidson, Phllip. Page 263.
Bilan de la bataille et camps de rééducation Vietminh.
Dien Bien Phu a été la plus longue et la plus sanglante bataille de l'après Seconde Guerre Mondiale. On estime à près de 25,000 le nombre des Bodoïs tués pendant le siège, entre le 13 mars et le 7 mai 1954.
L'armée française compte 2,293 tués et 11,721 prisonniers recensé par le Vietminh, dont 4,436 blessés, dans ses rangs. 71% de ces derniers décèderont dans les mois qui suivent en captivité. A l'instar de la Marche de la Mort de Bataan, aux Philippines, ils doivent marcher à travers jungle et montagnes sur 700km, de nuit pour échapper à l'aviation française. Ceux qui sont trop faibles meurent ou sont achevés en chemin. Puis ils sont cantonnés dans des camps en zone frontalière chinoise.
Là, un autre calvaire les attend. Les conditions d'hygiène sont effroyables, et les prisonniers sous-alimentés doivent subir sans arrêt le matraquage de la propagande communiste. Cela se traduisait par des séances d'autocritique où ceux-ci devaient avouer les crimes commis contre le peuple vietnamien (réels ou supposés), implorer le pardon, et être reconnaissant de la "clémence de l'Oncle Ho qui leur laisse la vie sauve."
La majorité des tentatives d'évasion ont échoué, malgré l'absence de barbelés ou de miradors de surveillance. Les distances à parcourir étaient trop grandes pour espérer survivre dans la jungle, surtout pour des prisonniers très diminués physiquement. Ceux qui étaient repris étaient exécutés.
Après la Conférence de Genève, la France et le Vietminh parvinrent à un accords sur le principe d'échange des prisonniers. 3,290 combattants de Dien Bien Phu furent restitués, dans un état squelettique comparable à celui des survivants des camps de la mort nazis, à la Croix-Rouge internationale. Par contre, le destin des 3,013 prisonniers d'origine vietnamienne demeure à ce jour inconnu. (22)
Photos ci-dessous: 1° "Accord de Genève" au Palais des Nations, 21 juillet 1954. Dans l'assemblée, on reconnait les représentants de l'Union Soviétique, Vyacheslav Molotov, et de Grande-Bretagne, Anthony Eden. Les délégués du Vietminh apparaissent de dos, à l'avant plan. 2° Prisonnier de guerre restitué par le Vietminh après les Accords de Genève. 3° Affiche cinéma du film Dien Bien Phu de Pierre Schoenderffer (1992). 4° Signature du Livre d'Or au QG de l'Armée française à Hanoi. 5° PC-GONO aujourd'hui.
(22) Jean-Jacques Arzalier, Les Pertes Humaines, 1954-2004: La Bataille de Dien Bien Phu, entre Histoire et Mémoire, Société française d’histoire d'outre-mer, 2004.
Georges Boudarel, le Camp 113 et le rôle du Parti communiste français.
Né le 21 décembre 1926 à Saint-Etienne (Loire) dans une famille catholique, Georges Boudarel fait de bonnes études chez les Pères Maristes, puis obtient sa licence de philosophie.
Boudarel prend sa carte du Parti Communiste Français en 1946. Nommé enseignant en Indochine, alors qu'il n'a pas encore effectué son service militaire et se trouve en situation de "sursis", il embarque pour l'Indochine au début d'avril 1948. Débarqué en Cochinchine, il est affecté au Lycée Yersin de Dalat comme professeur de philosophie.
A Saigon, il établit des contacts suivis avec la cellule du Kominform appelée "Groupe culturel marxiste numéro 106". Il remplit diverses missions pour l'Education Nationale: correction du baccalauréat à Hanoi en juin 1949, stage au Collège de Vientiane au Laos en automne 1949, affectation au lycée Marie Curie à Saigon fin 1949.
En 1950, il décide de sauter le pas, écrit-il, et rejoint le maquis vietminh. Il y sert pendant deux ans. Plus tard, il sera appelé sous les drapeaux sur le territoire indochinois et, ne se présentant pas aux autorités militaires françaises, il sera considéré comme "insoumis", et non comme déserteur.
Pendant cette période, il devient membre du Parti Communiste Indochinois d'Ho Chi Minh, qui se transforme peu après, le 3 mars 1951, en Parti des travailleurs (Dang Lao Dong). Il est affecté à la radio "Saïgon-Cholon libre" où il a en charge l'émission en français. Il prend le nom vietnamien de Daï Dong, c'est-à-dire: "Fraternité universelle".
Fin 1951, il est désigné pour servir au Nord en vue de faire de la propagande en faveur de la paix et du rapatriement du Corps Expéditionnaire français (CEFEO) auprès des prisonniers que le Vietminh envisage de libérer pour faciliter la fin des hostilités.
Il se met en route début 1952 et mettra presque un an à rejoindre le Tonkin, en passant par les pistes de montagne de la Cordillère Annamitique, et en évitant soigneusement les forces françaises.
Le 22 décembre 1952, il arrive au Viet-Bac (Zone "libérée" par le Viet Minh) et se voit nommé "Instructeur Politique adjoint" au commissaire politique du Camp 113. Il est assimilé à un chef de compagnie avec une rémunération triple, soit trois kilos de paddy par jour. Le kilo de paddy, riz non décortiqué, est alors l'unité monétaire dans les zones occupées par le Vietminh.
Il arrive le 7 février 1953 au Camp 113, situé à Lang-Kieu, non loin de la frontière chinoise, au sud d'Ha-Giang, dans le bassin de la Rivière Claire (Song Lô), à une vingtaine de kilomètres de Vinh Thuy.
Il y appliquera consciencieusement le programme de lavage de cerveau conçu par le Dich Van, organisme du gouvernement central chargé de la rééducation politique des prisonniers de guerre.
Il mesure parfaitement les absurdités du système, et parfois même son ignominie, surtout lorsqu'il constate le taux très élevé de la mortalité parmi les captifs: 50%, au sujet duquel il alerte sans succès sa hiérarchie. Il écrira par la suite: "Comme les détenus, j'étais prisonnier du système" (Voir son autobiographie).
Il quitte le Camp 113 en février 1954 et se voit affecté à l'émission radio La voix du Vietnam, situé dans un endroit tenu secret du Tonkin.
En octobre 1954, à la suite des Accords de Genève, il rejoint Hanoï où il restera dix ans.
Déçu par l'évolution du régime communiste et les purges de 1955-1956 qu’il décrira plus tard dans un livre témoignage (23), il quitte le Vietnam et se réfugie à Prague en 1964. Il y obtient un poste à l'"Institut d'Etudes Orientales", puis il entre comme rédacteur à la "Fédération Syndicale Mondiale". Il découvre alors la sclérose du système communiste dénoncé par Nikita Krouchtchev.
Entre temps, en France, il a été condamné à mort pour "insoumission et désertion". Le 17 juin 1966, à Paris, l'Assemblée Nationale vote la loi d'amnistie relative aux infractions commises en relation avec les évènements d'Algérie. Un amendement communiste constitue l'article 30 de cette loi. Il stipule que "sont amnistiés de plein droit tous crimes et délits commis en liaison avec les évènements consécutifs à l'insurrection vietnamienne, et antérieurement au 1er octobre 1957".
Georges Boudarel profite de ces dispositions pour rentrer en France après dix-huit ans d'absence qu'il qualifiera pudiquement, par la suite, de "voyage d'études en Extrême-Orient". Il reprend une vie normale sans être ennuyé, y compris en ce qui concerne son service militaire qu'il n'a pas encore effectué. Grâce à l'amnistie, il est redevenu simple sursitaire. Le réalisme politique prévalant, il en est "exempté pour raison médicale".
Il entre à l'université Jussieu-Paris-7, dès sa création en 1970, et y devient maître de conférence d'Histoire. Il milite pendant un temps au sein du "Front de solidarité Indochine" trotskiste, puis fait deux courts séjours au Vietnam en 1978 et 1989.
Il prend position contre le régime d'Hanoï dont il dénonce les méthodes d'endoctrinement et le système en publiant un second livre. (24)
Il vivra tranquille jusqu'à la fin de sa vie. Le 13 février 1991, au cours d'un colloque organisé au Sénat par le "Centre des Hautes Etudes sur l'Afrique et l'Asie Modernes", il doit prendre la parole. Il est alors pris à partie par Jean-Jacques Beucler, ancien ministre et ancien député, qui a été lui-même captif en Indochine quatre ans durant et parle au nom des nombreux anciens prisonniers du Vietminh qui l'entourent.
Ainsi débute "l'Affaire Boudarel". Boudarel, qui est accusé de "torture envers des prisonniers de guerre français", sera soutenu par de nombreuses personnalités de gauche, au nombre desquelles Pierre Vidal Naquet, qui, sans pour autant l'exonérer, "refuse de cautionner, même par un simple silence, la chasse à l’homme qui est en train de se dérouler" (Le Monde, 23 mars 1991).
Plus tard, il quittera le Parti Communiste Français, déclarant au journal Le Monde en 1991: "J'étais stalinien, je le regrette à 100%..." C'était bien tard...
Il cesse d'exercer à Jussieu en 1992, date de son départ à la retraite. Il s'éteint paisiblement le 26 décembre 2003 à l'âge de 77 ans.
Biographie de Boudarel
Georges Boudarel (Wikipedia.org)
(23) Georges Boudarel, "Cent fleurs éclosent dans la nuit du Vietnam", Jacques Bertoin, 1991.
(24) Georges Boudarel, "La bureaucratie au Vietnam", L'Harmattan, 1983.
Opération Vulture: participation américaine à la bataille.
En vertu de la Loi d'Assistance et de Défense Mutuelle (Mutual Defense Assistance Act), les Etats-Unis fournissent déjà le Corps Expéditionnaire français en matériel depuis 1945. Aide matérielle consistant principalement en avions B-26 Invader, P-63 Airacobra, C-47 Skytrain, F6F Hellcat, F8F Bearcat, Vought F4U Corsair, SB2C Helldiver et Douglas A-1D Skyraider. En outre, 34 pilotes de la Civil Air Transport (CAT), la compagnie aérienne des Tigres Volants créée par Claire Chennault et affraitée par la CIA, effectuent des vols au-dessus de la "Cuvette" dès novembre 1953.
Le 31 mars 1954, après la chute des positions Beatrice, Gabrielle et Anne-Marie, un groupe de sénateurs et de représentants du Congrès américain soumettent la question d'une éventuelle participation, active et directe, des forces armées américaines au chef d'état-major adjoint interarmes (Chairman of the Joint Chiefs of Staff), l'amiral Arthur W. Radford.
Après la demande d'assistance d'Henri Navarre, Radford fournit aux Français deux squadrons de B-26 Invader. 34 de leurs équipages américains accompliront 682 sorties de bombardements des positions Vietminh jusqu'à la fin. Mais Radford avoue qu'il est désormais trop tard pour que l'US Air Force sauve le camp retranché français.
Dès le début de l'opération Castor, en novembre 1953, le général Chester McCarty fournit aux Français douze C-119 Flying Boxcar de transport pour convoyer les parachutistes français sur zone. Ceux-ci serviront pendant toute la durée de la bataille de Dien Bien Phu, et deux aviateurs américains, Wallace Bufford et James McGovern, Jr, seront tués en service commandé de la France.
Le 20 février 2005, les sept derniers pilotes américains de la CAT ou de la CIA encore en vie qui ont participé à la bataille de Dien Bien Phu, sont décorés du titre de "Chevalier de la Légion d'Honneur", la plus haute distinction française, par Jean-David Levitte, l'ambassadeur français aux Etats-Unis. (24)
L'écrivain français Jules Roy suggère également que l'amiral Arthur Radford discuta avec l'état-major français la possibilité d'utiliser des armes atomiques (une des options envisagées par l'opération Vulture), larguées par des B-29 sur les positions et les voies de ravitaillement du Vietminh autour de Dien Bien Phu. Mais cette option aurait été finalement rejettée par le gouvernement français.
On rapporte que John Foster Dulles, alors Secrétaire d'Etat du président Dwight Eisenhower, aurait également envisagé l'utilisation d'armes nucléaires tactiques. Et d'autres sources encore prêtent un avis similaire au Ministre britannique des Affaires Etrangères, sir Anthony Eden.
Photos ci-dessous: 1° Fairchild C-119 Flying Boxcar de la CIA, avec cocardes françaises, ravitaillant Dien Bien Phu. 2° Grumman F8F-1B Bearcat de l'Armée de l'Air, Groupe de Chasse GC 1/22 Saintonge, à Dien Bien Phu en janvier 1954. 3° F4U-7/AU Corsair du Marine Attack Squadron VMA-324 sur le pont du USS Saipan, au large de Tourane (Da Nang), porte-avions "prêté" à la marine française en avril 1954 pour aider le camps retranché.
(24) France to Fete American Pilots, Los Angeles Times, Feb 20, 2005.
Article modifié le 25 février 2017.
Sources principales:
• Battle of Dien Bien Phu (Wikipedia.org)
• Chemin de mémoire - La Bataille de Dien Bien Phu (gouv.fr)
Géographie et démographie de Dien Bien Phu.
Dien Bien Phu est à la fois le nom du village et le nom du district où s'est déroulée la bataille. Simple hameau ne comptant qu'une centaine d'âmes en 1953, elle est aujourd'hui une ville de moyenne importance florissante et prospère de 125,000 habitants, vivant du commerce du bois et du tourisme. Les projections démographiques estiment à 150,000 habitants la population d'ici l'année 2020. (1)
La majorité de la population fait d'ailleurs partie du groupe ethnique Thai, les Vietnamiens ne formant qu'environ un tier.
Géographiquement, la localité est située dans la vallée de Muong Thanh, un bassin de 20km de long sur 6km de large, à environ 35km de la frontière laotienne. La ville faisait partie de la province de Dien Bien et en 2004, elle a été ratâchée à la province de Lai Chau.
Photos ci-dessous: 1° Arrivée d'un An-26 Curl de Vietnam Airlines sur l'aéroport local de Dien Bien Phu (27 mars 2007). 2° Hotel Him Lam en 2016. 3° et 4° Ville de Dien Bien Phu en 2010.
(1) Dien Bien Phu: Development and Conservation in a Vietnamese Cultural Landscape
Contexte historique.
L'Indochine appartient à l'empire colonial français depuis la fin du 19ème siècle. Les territoires français sont administrés en trois colonies, le Tonkin au nord, l'Annam au centre, et la Cochinchine au sud, ainsi qu'en deux "protectorats", le Laos et le Cambodge.
En mars 1945, les Japonais font brutalement main basse sur l'Indochine. Après la capitulation nippone, six mois plus tard, le mouvement Vietminh dirigé par Ho Chi Minh proclame l'"indépendance" de l'Indochine. Après avoir tenté de négocier avec le Vietminh, la France décide de reprendre militairement ses colonies et envoit, en 1946, un Corps Expéditionnaire Français d'Extrême-Orient (CEFEO).
Après la victoire des communistes de Mao Zedong sur les nationalistes de Chang Kai-Chek et la proclamation de la République populaire de Chine, en octobre 1949, le Vietminh commence à bénéficier d'une aide matériel et logistique chinoise massive. Grâce à cela, le Vietminh constitue un solide corps de bataille de plusieurs dizaines de milliers d'hommes, commandés par le général Vo Nguyen Giap.
En octobre 1950, après avoir constitué et entrainé son armée, Giap passe à l'offensive. Il chasse les Français de la zone frontalière avec la Chine. Temporairement stoppé au cours de la bataille de Hoa Binh au printemps 1952, il repart à l'assaut et conquiert le Laos à la fin de cette année. Pour anéantir le Vietminh une bonne fois pour toute, le CEFEO décide de fixer ses forces. En novembre 1953, dans cette optique, il lance une opération aéroportée près de la frontière laotienne, dans le Haut Tonkin, chasse la petite garnison ennemie locale, et entame la construction d'une base à Dien Bien Phu.
Concept de la "Défense hérisson".
En 1953, la "Guerre d'Indochine", tout comme la Guerre du Vietnam le sera aux Etats-Unis quelques années plus tard, est devenue très impopulaire dans l'opinion publique. Une succession de commandants en chef (Philippe "Leclerc" de Hautecloque, Jean-Etienne Valluy, Roger Blazot, Jean de Lattre de Tassigny et Raoul Salan) se sont montrés incapables de "mater" l'insurrection du Vietminh.
Durant la campagne lancée pendant l'hiver 1952-1953 par Giap, les territoires contrôlés par le Vietminh finissent même par s'étendre au Laos voisin, ses troupes progressant jusqu'à la capitale provinciale Luang Prabang et la Plaine des Jarres.
En mai 1953, pour reprendre l'initiative, le Premier ministre français René Mayer nomme le général Henri Navarre commandant en chef des "Forces de l'Union Française" en Indochine, en remplacement de Raoul Salan. Inspiré des enseignements tirés de la Bataille de Na San, au cours de laquelle l'armée française a établit un solide camp retranché près de la frontière laotienne et a infligé des pertes terribles à l'ennemi, Navarre décide de rééditer l'exploit, cette fois à une plus large échelle encore.
Le mois suivant, le général René Cogny, commandant la région militaire du Golfe du Tonkin, propose Dien Bien Phu comme cible, ce choix étant bientôt approuvé par Navarre. Des critiques sont émises par certains officiers supérieurs, dont le colonel Jean-Louis Nicot, commandant de l'aviation de transport, mais Navarre les rejette lors de la réunion d'état-major qui se tient le 17 novembre 1953, et fixe définitivement le déclenchement de l'opération trois jours plus tard.
A Na San (23 novembre - 2 décembre 1952) les Bodoïs de Giap s'étaient littérallement cassé les dents contre les positions fortifiées du camp retranché, celui-ci étant ravitaillé uniquement par voie aérienne. Même si à la fin, les Français ont du abandonner cette base, la réussite de l'évacuation (aérienne) et les pertes occasionnées à l'ennemi renforcent la conviction de Navarre dans ce système de "Défense hérisson" (Hedgehogs Defense), dans l'espoir d'"user" à la longue les divisions Vietminh.
Carte ci-dessous: bataille de Na San et système de "défense hérisson".
Opération Castor et occupation de Dien Bien Phu (20-22 novembre 1953).
Castor est le nom de code de l'opération aéroportée dont l'objectif est l'établissement d'une enclave dans la province de Dien Bien, en territoire contrôlé par le Vietminh, dans le nord-ouest de l'Indochine. Tout comme à Na San, l'idée générale du plan français est de couper les voies de ravitaillement ennemies venant du Laos, d'y attirer les divisions de Giap et de les anéantir dans une bataille d'usure (Attrition War).
L'opération est confiée au général de Brigade Jean Marcellin Gilles et débute le 20 novembre 1953 à 10h30. Les parachutages sont prévus pour s'échalonner les deux jours suivants, sur quarante-huit heures.
Le 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC) du major Marcel Bigeard et le 2ème Bataillon du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes (2/1 RCP) commandé par le major Jean Bréchignac y participent, et seront acheminer par 65 C-47 Skytrain/Dakota et 12 C-119 Flying Boxcar, en deux vagues d'assaut, une le matin et l'autre le soir.
Leur objectif est la capture de l'aérodrome local, construit par les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans cette première vague, ont également pris place le 17ème Régiment aéroporté du génie, chargé de remettre les installations en fonction, et l'état-major du Groupement Aéroporté 1 (GAP 1). Ils sont suivis en fin d'après-midi par le 1er Bataillon de Parachutistes Coloniaux (1 BPC), des éléments du 35ème Régiment d'Artillerie Légère Parachutiste (35 RALP) et d'autres unités de soutien logistiques.
Le jour suivant, 21 novembre 1953, c'est le tour du Groupement Aéroporté 2 (GAP 2): l'état-major et la compagnie QG de Jean Gilles, le 1er Bataillon Etranger de Parachutistes, le 8ème Bataillon de Parachutistes de Choc (8 BPC) et d'autres éléments de soutien.
Le 22 novembre 1953, les dernières troupes sont larguées dans la vallée. Il s'agit du 5ème Bataillon de Parachutistes Vietnamiens (5 BPVN). Dans le vol, a pris place Brigitte Friang, une journaliste correspondante de guerre et ancienne membre de la Résistance, arrêtée par la Gestapo en 1943 et déportée au camp de concentration de Ravensbrück. Elle est fraîchement diplomée de saut et a obtenu une autorisation spéciale du général de Navarre pour participer à l'opération Castor. (2)
Carte ci-dessous: positions françaises le 22 novembre 1953.
Photo ci-dessous: patrouille du 8 BPC autour de Dien Bien Phu.
Soit un effectif total de 4,195 parachutistes. Les largages s'effectuent correctement suivant l'horaire fixé, et dans la soirée du 22 novembre, tous les objectifs ont été atteints. L'unité Vietminh présente dans la vallée, un bataillon du 148ème Régiment d'Infanterie Indépendant, a été anéantie, le village et l'aérodrome de Dien Bien Phu sont sous contrôle.
Ordre de bataille initial de l'opération Castor (20-22 novembre 1953).
- Groupement Aéroporté 1 (GAP 1).
-
- GAP 1 Etat-major et compagnie HQ.
- 1er Bataillon de Parachutistes Coloniaux (1 BPC).
- 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC).
- 2ème Bataillon, 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes (2/1 RCP).
- 17ème Régiment de Génie Parachutiste (17 RGP).
- 35ème Régiment d'Artillerie Légère Parachutistes (35 RALP).
-
- 1er Bataillon Etranger de Parachutistes (1 BEP).
- 8ème Bataillon de Parachutistes de Choc (8 BPC).
- 5ème Bataillon de Parachutistes Vietnamiens (5 BPVN).
Commencent alors les travaux consistant à établir et fortifier le camp retranché français. Fin novembre 1953, d'autres parachutages sont effectués. Six autres bataillons et de l'artillerie supplémentaire viennent renforcer les effectifs déjà sur place. Notamment 8 obusiers de 105mm de la Batterie d'Artillerie Autonome laotienne et des mortiers de 120mm de la 1ère Compagnie Etrangère de Mortiers Lourds (1 CEPLM).
Le 12 décembre 1953, le commandement du camps retranché est confié au colonel Christian de Castries, un officier de blindés, et à son adjoint, le lieutenant-colonel Pierre Langlais. L'artillerie française, six batteries de 105mm et trois batteries de 120mm, est confiée au colonel Charles Piroth et disposée sur les collines qui entourent et dominent l'aérodrome.
Photo ci-dessous: le colonel Christian de Castrie à Dien Bien Phu, au début de l'année 1954.
Le 12 mars 1954, la garnison française de Dien Bien Phu compte 10,814 hommes: troupes de la Légion Etrangère, coloniales d'Afrique du Nord (algériennes ou marocaines), ainsi qu'un bataillon de parachutistes vietnamien. En comptant les renforts pendant la bataille, jusqu'en mai, les effectifs totaux se chiffreront à environ 16,000 hommes.
(2) Oeuvres de Brigitte Friang: Les Fleurs du ciel, Paris, Robert Laffont, 1955. La Mousson de la liberté. Vietnam, du colonialisme au stalinisme, Paris, Plon, 1976.
Riposte du Vietminh (23 novembre 1953 - 12 mars 1954).
Dès le 23 novembre 1953, Le Vietminh réagit à l'attaque française et les Divisions 304, 308, 312 et 316, ainsi que la Division d'Artillerie/Génie 351, convergent vers Dien Bien Phu. Le 27 décembre, l'encerclement du camp retranché français est complet.
Photo ci-dessous: l'état-major vietminh pendant la bataille de Dien Bien Phu. De gauche à droite: Pham Van Dong, Ho Chi Minh, Truong Chinh et Vo Nguyen Giap.
En mars 1954, les effectifs Vietminh totaliseront environ 50,000 soldats. Si l'on prend en compte les renforts et les unités logistiques, le total est estimé à 80,000 hommes.
Photo ci-dessous: pièces d'artillerie AA mises en oeuvres par le Vietminh, conservées au Musée de Dien Bien Phu. 2 août 1997.
- Division d'infanterie 304 Nam Dinh.
Commandant: Le Chuong.
-
- Régiment d'infanterie 9 (Tran Thanh Tu): Bataillons 353, 375, 400.
- Régiment d'infanterie 57 (Nguyen Can): Bataillons 265, 346, 418.
- Division d'infanterie 308 Viet Bac.
Commandant: colonel Vuong Thua Vu.
-
- Régiment d'infanterie 36 (Pham Hong Son): Bataillons 80, 84, 89.
- Régiment d'infanterie 88 (Nam Ha): Bataillons 22, 29, 322.
- Régiment d'infanterie 102 (Nguyen Hung Sinh): Bataillons 18, 59, 79.
- Division d'infanterie 312 Ben Tre.
Commandant: colonel Le Trong Tan.
-
- Régiment d'infanterie 141 (Quang Tuyen): Bataillons 11, 16, 428.
- Régiment d'infanterie 165 (Le Thuy): Bataillons 115, 542, 564.
- Régiment d'infanterie 209 (Hoang Cam): Bataillons 130, 154, 166.
- Division d'infanterie 316 Bien Hoa.
Commandant: Le Quang Ba.
-
- Régiment d'infanterie 98 (Vu Lang): Bataillons 215, 439, 938.
- Régiment d'infanterie 174 (Nguyen Huu An): Bataillons 249, 251, 255.
- Régiment d'infanterie 176 (?): Bataillons 888, 910, 999.
- Division d'artillerie/génie 351 Long Chau.
Commandant: Dao Van Truong.
-
- Régiment d'artillerie 45 (Nguyen Huu My): 12 obusiers de 105mm M101/M101A1 chacun.
- Régiment d'artillerie 675 (Doan Tue): 20 mortiers de 75mm "Type-41" et 16 mortiers de 120mm M1938.
- Régiment d'artillerie AA 367 (Le Van Tri): deux bataillons AA. 12 canons AA de 37mm M1939 chacun.
Le "Système Renault" pour acheminer le ravitaillement du Vietminh jusqu'à Dien Bien Phu.
Le Haut commandement français en Indochine prend connaissance à la fin de février 1954 de l'effort engagé par le Vietminh. Vu son ampleur, l'évacuation de la garnison de Dien Bien Phu vers le Laos ou la constitution de colonnes de secours sont envisagées. Mais, une nouvelle fois, la menace est sous-estimée par les Français, qui souhaitent la "bataille finale" pour porter un coup décisif à l'ennemi.
Des attaques d'infanterie vietminh ont lieu contre Dien Bien Phu dès le 26 janvier 1954. Mais non-coordonnées et privées de l'appui d'artillerie, elles échouent. Giap change alors radicalement de stratégie et décide d'attendre que ses unités d'artillerie soit en position.
Photo ci-dessous: maréchal Vo Nguyen Giap en 2008, à l'âge de 97 ans.
Ordre de bataille français (13 mars 1954).
Sur les 10,814 hommes présents dans le camp retranché le 13 mars 1954, 2,969 appartiennent à la Légion Etrangère: le 3ème Bataillon de la 13ème Demi-Brigade (3/13 DBLE) occupe le point d'appui Béatrice, au nord-est. Son 1er Bataillon (1/13 DBLE) est sur le point d'appui Claudine, couvrant le flanc ouest du PC-GONO (Groupe Opérationnel du Nord-Ouest). Le 1er Bataillon du 2ème Régiment Etranger d'Infanterie (1/2 REI) protège directement la piste d'aviation sur le même flanc avec les sept points d'appui Huguette. Le 3ème Bataillon du 3ème REI (3/3 REI) se trouve sur une position située 4km au sud du PC-GONO, Isabelle. Le 1er Bataillon Etranger de Parachutistes (1 BEP) est placé en réserve. Enfin, les 1ère et 2ème Compagnies de Mortiers Mixtes de la Légion Etrangère (CMMLE) et la 1ère Compagnie Etrangère de Mortiers Lourds (1 CEPML) sont en soutien autour de la position centrale ou dispersées au profit des unités.
Trois Bataillons de Tirailleurs Algériens (2/1 RTA, 3/3 RTA et 5/7 RTA), un Bataillon de Tirailleurs Marocains (1/4 RTM), deux Bataillons Thaï (BT 2 et BT 3), le 8ème Bataillon de Parachutistes de Choc (8 BPC), le 2ème Bataillon du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes (2/1 RCP), le 5ème Bataillon de Parachutistes Vietnamiens, le 3ème Escadron du 1er Régiment de Chasseurs à Cheval (3/1 RCC), avec 10 chars M24 Chaffee (démontés puis réassemblés sur place), plus diverses unités d'artillerie, du génie, de transmissions, de services administratifs et de santé, constituent le reste de la garnison.
Groupe Opérationnel du Nord-Ouest (PC-GONO). Colonel Christian de Castrie.
1° Commandement.
- Groupe Mobile 6 (GM 6). Lieutenant-colonel André Lalande. 3/3 REI, 2/1 RTA, 5/7 RTA.
- Groupe Mobile 9 (GM 9). Lieutenant-colonel Jules Gaucher. 1/13 DBLE, 3/3 DBLE, 1/2 REI, 3/3 RTA.
- 2ème Groupement Aéroporté (GAP 2). Lieutenant-colonel Pierre Langlais. 1 BEP, 8 BPC, 5 BPVN.
- Artillerie. Colonel Charles Piroth. 2/4 RAC, 3/10 RAC, 11/4/4 RAC, 1 GAACEO, 1 CMMLE, 2 CMMLE, 1 CEPML).
2° Infanterie.
- 1er Bataillon / 13ème Demi-Brigade de la Légion Etrangère (1/13 DBLE). Major de Brinon / Major Robert Coutant. PA Claudine.
- 3ème Bataillon / 13ème Demi-Brigade de la Légion Etrangère (3/13 DBLE). Major Paul Pégot. PA Béatrice.
- 1er Bataillon / 2ème Régiment Etranger d'Infanterie (1/2 REI). Major Clémençon. PA Hughette.
- 3ème Bataillon / 3ème Régiment Etranger d'Infanterie (3/3 REI). Major Henri Grand d'Esnon. PA Isabelle.
- 2ème Bataillon / 1er Régiment de Tirailleurs Algériens (2/1 RTA). Capitaine Pierre Jeancenelle. PA Isabelle.
- 3ème Bataillon / 3ème Régiment de Tirailleurs Algériens (3/3 RTA). Capitaine Jean Garandeau. PA Dominique.
- 5ème Bataillon / 7ème Régiment de Tirailleurs Algériens (5/7 RTA). Major Roland de Mecquenem. PA Gabrielle.
- 1er Bataillon / 4ème Régiment de Tirailleurs Marocains (1/4 RTM). Major Jean Nicolas. PA Eliane.
- 2ème Bataillon Thai (BT 2). Major Maurice Chenel. PA Eliane.
- 3ème Bataillon Thai (BT 3). Léopold Thimonnier. PA Anne-Marie.
Photo ci-dessous: petite unité d'auxiliaires Thaï prenant position.
3° Parachutistes.
- 1er Bataillon Etranger de Parachutistes (1 BEP). Major Maurice Guiraud.
- 2ème Bataillon Etranger de Parachutistes (2 BEP). Major Hubert Liesenfelt.
- 1er Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC). Major Marcel "Bruno" Bigeard.
- 8ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (8 BPC). Major Pierre Tourret.
- 5ème Bataillon de Parachutistes Vietnamien (5 BPVN). Capitaine André Botella.
- 2ème Bataillon / 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes (2/1 RCP). Major Jean Bréchignac.
4° Blindés.
- 3ème Escadron / 1er Régiment de Chasseurs à Cheval (3/1 RCC) [10 chars M24 Chaffee]. Capitaine Yves Hervouët. PA Claudine et Isabelle.
5° Artillerie.
- 2ème Groupe / 4ème Régiment d'Artillerie Colonial (2/4 RAC) [12 obusiers M101A1 Howitzer de 105mm]. Major Guy Knecht. PA Dominique.
- 3ème Groupe / 10ème Régiment d'Artillerie Colonial (3/10 RAC) [12 obusiers M101A1 Howitzer de 105mm]. Major Alliou. PA Isabelle et Claudine.
- 11ème Batterie / 4ème Groupe / 4ème Régiment d'Artillerie Colonial (11/4/4 RAC) [4 obusiers M114 Howitzer de 155mm]. Capitaine Déal. PA Claudine.
- 1er Groupe d'Artillerie Anti-aérienne Colonial en Extrême-Orient (1 GAACEO) [4 mitrailleuses M2 de 12.7mm]. Lieutenant Paul Redon.
- 1ère Compagnie de Mortiers Mixte de la Légion Etrangère (1 CMMLE) [8 mortiers M2 de 107mm]. Lieutenant René Colcy. PA Claudine.
- 2ème Compagnie de Mortiers Mixte de la Légion Etrangère (2 CMMLE) [8 mortiers M2 de 107mm]. Lieutenant Fetter. PA Gabrielle et Anne-Marie.
- 1ère Compagnie Etrangère Parachutiste de Mortiers Lourds (1 CEPML) [12 mortiers M2 de 107mm]. Lieutenant Paul Turcy. PA Claudine et Dominique.
6° Génie.
- 31ème Bataillon du Génie (31 BG). Major André Sudrat.
7° Services de Santé.
- 29ème Antenne Chirurgicale Mobile (ACM 29). Major Paul Grauwin.
- 44ème Antenne Chirurgicale Mobile (ACM 44). Lieutenant Jacques Gindrey.
- 3ème Antenne Chirurgicale Parachutiste (ACP 3). Lieutenant Louis Résillot.
- 5ème Antenne Chirurgicale Parachutiste (ACP 5). Capitaine Ernest Hantz.
- 6ème Antenne Chirurgicale Parachutiste (ACP 6). Lieutenant Jean Vidal.
8° Service, Logistique et soutien.
- 2ème Compagnie / 822ème Bataillon de Transmissions (2/822 BT).
- 2ème Compagnie / 823ème Bataillon de Transmissions (2/823 BT).
- 342ème Compagnie Parachutiste de Transmissions (342 CPT).
- 2ème Peleton / 5ème Compagnie de Réparations Moyennes de la Légion Etrangère (2/5 CRMLE).
- 3ème Compagnie de Munitions (3 CM).
- 730ème Compagnie de Ravitaillement [Carburant] (730 CR).
- 712ème Compagnie de Circulation Routière (712 CCR).
- 3ème Compagnie de Transport de Quartier-Général (3 CTQG).
- 1er Groupe d'Exploitation Opérationnel [Quartier-Maitre] (GEO 1).
- 3ème Légion de Marche / Garde Républicaine de la Gendarmerie Mobile (3 LM/GRGM).
- 403ème Bureau de Police Militaire (403 BPM).
9° Armée de l'Air / Dien Bien Phu.
- 1er Escadron / 22ème Groupe de Chasse (1/22 Saintonge) [10 Grumman F8F-1 Bearcat]. Capitaine Claude Payen.
- 21ème Groupe Aérien d'Observation d'Artillerie (GAOA 21) [Morane-Saulnier MS.500 Criquet (Fieseler Storch)]
- 1ère Compagnie Légère d'Evacuation Sanitaire (1 CLES) [Sikorsky H-19 Chickasaw].
10° Soutien aérien extérieur.
- 2ème Escadron / 22ème Groupe de Chasse (2/22 Languedoc) [F8F-1 Bearcat]. Haiphong/Cat Bi.
- 1er Escadron / 19ème Groupe de Bombardement (1/19 Gascogne) [Douglas B-26 Invader]. Haiphong/Cat Bi.
- 1er Escadron / 25ème Groupe de Bombardement (1/25 Tunisie) [Douglas B-26 Invader]. Haiphong/Cat Bi.
- 2ème Escadron / 62ème Groupe de Transport (2/62 Franche-Comté) [Douglas C-47 Skytrain]. Hanoi/Bach Mai.
- 2ème Escadron / 63ème Groupe de Transport (2/63 Sénégal) [Douglas C-47 Skytrain]. Hanoi/Gia Lam.
- 1er Escadron / 64ème Groupe de Transport (1/64 Béarn) [Douglas C-47 Skytrain]. Hanoi/Gia Lam.
- 2ème Escadron / 64ème Groupe de Transport (2/64 Anjou) [Douglas C-47 Skytrain]. Hanoi/Bach Mai.
- 23ème Groupe Aérien d'Observation d'Artillerie (GAOA 23) [Morane-Saulnier MS.500 Criquet (Fieseler Storch)]. Muong Sai.
- 80ème Escadron de Reconnaissance Outre-Mer (EROM 80) [Grumman RF-8F Bearcat et Douglas B-26C Invader]. Hanoi/Bach Mai.
- 52ème Escadron de Liaison Aérienne (ELA 52) [Sikorsky H-19 Chickasaw]. Bien Hoa.
- 53ème Escadron de Liaison Aérienne (ELA 53) [Sikorsky H-19 Chickasaw]. Hanoi/Gia Lam.
- Civil Air Transport (CAT) / CIA [Douglas C-47 Skytrain et Fairchild C-119 Boxcar]. Haiphong/Cat Bi.
11° Aéronavale.
- Flotille 3F [Curtis SB2C-5 Helldiver]. Porte-avions Arromanches (Tourane) et Hanoi/Bach Mai.
- Flotille 11F [Grumman F6F-5 Hellcat]. Porte-avions Arromanches (Tourane) et Haiphong/Cat Bi.
- Flotille 14F [Vought F4U-7 Corsair]. Porte-avions Bois Belleau (Baie d'Along) et Hanoi/Bach Mai.
- Flotille 28F [Consolidated PB4Y-1 Privateer]. Haiphong/Cat Bi.
Ci-dessous: 1° F4U-7 Corsair de la Flotille 14F de l'Aéronovale ayant pris part à la Bataille de Dien Bien Phu. 2° Porte-avions Bois Belleau en Indochine, cédé par l'US Navy à la Marine Nationale française en 1953. 3° B-26C Invader du 1/19 Gascogne (Cat Bi) cédé par l'US Air Force.
Bataille de Dien Bien Phu (13 mars - 7 mai 1954).
Avant l'assaut général, Giap a fait installer dans le plus grand secret ses pièces d'artillerie et du matériel lourd en pièces détachées, tirés mètre par mètre par des dizaines d'hommes, sur les flancs des montagnes qui dominent Dien Bien Phu, qui permettront un pilonnage systématique des positions françaises. Il envoit régulièrement des patrouilles pour tester les défenses françaises. Les Français font de même en tentant quelques sorties hors du camp. Ces escarmouches épisodiques n'inquiètent pas l'état-major de De Castries, qui attend un assaut ennemi massif.
Photo ci-dessous: char léger M24 Chaffee à Dien Bien Phu.
1° Assaut et premier succès vietminh sur Beatrice (13-14 mars 1954).
Le 13 mars 1954 à 17h15, le "festival pyrotechnique" commence. L'ensemble du camp retranché subit un barrage d'artillerie d'une violence inouïe. Les Français sont complètement surpris: ils ne s'attendaient pas du tout à un pilonnage vietminh de cette ampleur. Leurs pièces d'artillerie et leurs postes de commandement sont particulièrement visés. Toutes les mesures de contre-batterie se révèleront inefficaces. (3)
Carte ci-dessous: positions françaises et premiers affrontements des 13, 14 et 15 mars 1954 (source: archives de l'armée vietnamienne).
Au pied de Dominique-2, les servants de mortiers lourds de 120mm de la Légion sont décimés. Sur Béatrice, le 3/13 DBLE disparaît sous le déluge de feu adverse. Les positions des Légionnaires sont pulvérisées et les pertes augmentent rapidement. Vers 18h15, un obus touche de plein fouet le PC du bataillon, tuant le major Paul Pégot et son état-major au complet. Puis c'est le tour des commandants des 9ème et 11ème Compagnies du 3ème Bataillon. Au bout de deux heures de bombardement, l'assaut vietminh commence avec deux régiments de la Division 312, opposés à deux compagnies malmenées de Légionnaires.
Le 14 mars 1954, vers 3h du matin, la Division 312 se rend maître du point d'appui Beatrice. Les Légionnaires ont perdu en quelques heures 500 tués et disparus. Les pertes vietminh s'élèvent à environ 600 tués et 1,200 blessés. (4)
Dans la matinée, 66 survivants de la 9ème Compagnie du 3/13 DBLE parviennent à rejoindre les lignes françaises. Le Vietminh restituera également 14 blessés graves, dont le lieutenant Etienne Turpin, évacué le jour même par avion. Le 3ème Bataillon de la 13ème DBLE, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, a disparu en l'espace d'une seule nuit. La 13ème DBLE est d'autant plus éprouvée qu'elle perd son commandant, le colonel Jules Gaucher, tué avec plusieurs membres de son état-major le 14 mars vers 19h45 par un obus.
Les bombardements de l'artillerie vietminh se poursuivent pendant toute cette journée. A 14h, trois chasseurs-bombardiers F-8 Bearcat évacuent la base. Les six autres ont été détruits ou endommagés sur la piste. Désormais, l'appui aérien parviendra des bases du Golfe du Tonkin, distantes de 300km. Les avions de transport et de ravitaillement C-47 Skytrain commencent également à subir des pertes, la défense AA vietminh devenant chaque jour plus dense et efficace.
(3) Le commandant de l'artillerie française, le colonel Charles Piroth, devant l'impuissance de ses tirs de contre-batteries, se suicidera deux jours plus tard, le 15 mars 1954.
(4) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 236.
2° Point d'appui Gabrielle (14-15 mars 1954).
Le second objectif du Vietminh est le point d'appui Gabrielle, défendu par le 5ème Bataillon du 7ème Régiment de Tirailleurs Algériens (5/7 RTA). Par ailleurs, le bois ne manquant pas aux alentours de la position, les blockhaus de Gabrielle sont réputés être les plus solides du camp retranché. La colline est d'ailleurs surnommée Le Torpilleur.
Après deux heures de préparation d'artillerie, deux régiments de la Division 308 montent à l'assaut sans succès et buttent contre les défenseurs algériens. En quelques heures, la division vietminh est saignée à blanc. Vers 4h du matin, le 15 mars, un obus touche le PC du bataillon, blessant sérieusement le major Roland de Mecquenem et plusieurs membres de son état-major. (5)
Le 15 mars 1954, vers 3h du matin, le Régiment 165 de la division 312, qui n'a pas été engagé sur Béatrice, prend la relève. Lentement, les défenseurs algériens sont submergés. Le colonel Christian de Castries ordonne une contre-attaque à l'aube pour rallier le 5/7 RTA.
Le 1/2 REI fournit deux compagnies. Arrivé en renfort par air pendant la journée précédente, le 5 BPVN participe également à l'opération, mais celui-ci est sous le feu constant de l'artillerie vietminh et subit de lourdes pertes, car il lui faut parcourir un kilomètre de nuit sur un terrain inconnu pour rejoindre la base de départ. Les légionnaires bousculent le bataillon vietminh placé en bouchon avec l'aide des chars Chaffee du 3/1 RCC. Vers 8h, ils ont presque atteint Gabrielle, quand ils aperçoivent des survivants du 5/7 RTA qui se replient et abandonnent le point d'appui. Les derniers Algériens de Gabrielle vont pourtant résister jusqu'à 13h.
La prise de cette position française coûte au Vietminh 2,000 tués (6), et aux défenseurs environ 500 tués et disparus. Mal coordonnée, la contre-attaque a échoué alors que tout restait possible. La panique règne désormais dans le camp retranché. Les chefs en place semblent incapable de reprendre la situation en main. Seul l'adjoint de De Castries, le lieutenant-colonel Paul Langlais, commandant des parachutistes de Dien Bien Phu, conserve son sang-froid.
3° Point d'appui Anne-Marie (16-17 mars 1954).
En raison des pertes subies, Giap rennonce provisoirement à l'attaque du point d'appui Anne-Marie, son troisième objectif. La Division 308 a effectivement perdu 1,500 tués dans l'attaque de Gabrielle, et la Division 312, 500 tués. Les blessés se comptant par milliers.
Anne-Marie est défendue par le 3ème Bataillon Thaï (BT 3). Mais le matin du 17 mars 1954, démoralisés par la perte de Béatrice et Gabrielle, la plupart de ceux-ci se débandent, ce qui force le reste des défenseurs français (2 CMMLE) et thaïs à abandonner la position. (7)
(5) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 237.
(6) Davidson, Philips. Page 238.
(7) Davidson, Philips. Page 239.
4° Période d'accalmie et crise du commandement français (16-30 mars 1954).
Le 16 mars 1954, l'espoir renaît un peu: le 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC) du major Marcel Bigeard saute dans la Cuvette. Du 17 au 30 mars, c'est la période d'accalmie. Le Vietminh en profite pour consolider ses positions et panser ses plaies. Il encercle totalement la zone centrale du camp retranché français, formé des points d'appui Dominique, Eliane, Claudine et Huguette. Isabelle, au sud, avec ses 1,809 défenseurs (3/3 REI, 2/1 RTA et 3/10 RAC), se retrouve totalement isolé du reste de la garnison et forme une seconde poche de résistance. (8)
Les français en profitent également pour s'"enterrer" un peu plus et chaque nuit, ils entendent les Bodoïs du Vietminh creuser un réseau de tranchées autour de leur position, qui se rapproche toujours un peu plus.
Durant cette période d'accalmie, l'état-major français affrontent d'ailleurs plusieurs "crises du commandement", et les défenseurs ont bien besoin de ça! Il est devenu évident, aux yeux d'une partie des officiers du PC-GONO, et c'est un sentiment partagé par le général René Cogny himself, "Général Vitesse", à Hanoi, que De Castries est devenu incompétent et inapte à assurer le commandement de Dien Bien Phu.
Photo ci-dessous: état-major du PC-GONO. De gauche à droite, le major Maurice Guirad (1 BEP), le capitaine André Botella (5 BPVN), le major Marcel "Bruno" Bigeard (6 BPC), le capitaine Pierre Tourret (8 BPC), le lieutenant-colonel Pierre C. Langlais, commandant en chef du Groupement Aéroporté 2 à Dien Bien Phu, et le major Hubert de Séguin-Pazzis, chef d'état-major.
Le 17 mars, René Cogny tente de rallier par air le camp retranché pour reprendre personnellement le commandement en main. Mais au-dessus de Dien Bien Phu, son avion est violemment pris pour cible par la DCA adverse et sérieusement touché. Il envisage de sauter en parachute, mais les membres de son état-major l'en disuade. (9)
De Castries s'est isolé du reste du PC-GONO et est relevé de son commandement. Le 26 mars 1954, c'est le lieutenant-colonel Pierre Langlais, qui assume déjà le commandement des unités parachutistes, reprend le commandement de l'ensemble du camp retranché français.
Ce qui fait que le commandement français de Dien Bien Phu se retrouve divisé en deux camps: les pro-De Castrie et les pro-Langlais. C'est une situation inextricable, et les deux officiers français parviennent à un accord tacite: De Castries continuera à commander en apparance, mais c'est Langlais qui désormais assume le commandement effectif de la garnison. Et Bigeard reprend le commandement des troupes aéroportées.
Durant cette période, Dien Bien Phu est ravitaillé par air, mais la DCA Vietminh prélève un lourd tribut sur les avions de transport français. Si bien que le 28 mars, le major Marcel Bigeard lance une opération pour éliminer les canons AA ennemis.
L'attaque, menée par le 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC) et le 8ème Bataillon de Parachutistes de Choc (8 BPC ou 8 BC), avec le 1er Bataillon Etranger de Parachutistes (1 BEP) en réserve, réussit pleinement et plus de 350 soldats Vietminh sont tués, un bon nombre de pièces AA de la Division 351 réduites au silence. Pour le prix de 20 pertes du côté français. (10)
Le moral français remonte en flèche, mais ce n'est hélas que "le calme avant la tempête".
(8) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 279.
(9) Davidson, Phillip. Pages 240-241.
(10) Davidson, Phillip. Page 244-245.
5° Assaut contre les positions centrales françaises (30 mars - 5 avril 1954).
La phase suivante de la bataille (30 mars - 5 avril 1954) est un assaut frontal massif de l'infanterie vietminh contre les positions centrales françaises, et en particulier Eliane et Dominique. Ces deux points d'appui sont défendus par un mélange de troupes de la Légion Etrangère, de Coloniaux, de Tirailleurs algériens ou marocains, de Vietnamiens et de Thaïs.
- Eliane:
-
- 1er Bataillon du 4ème Régiment de Tirailleurs Marocains (1/4 RTM).
- 2ème Bataillon Thaï (BT 2).
- 1er Bataillon Etranger de Parachutiste (1 BEP).
- 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux (6 BPC).
- Dominique:
-
- 8ème Bataillon de Parachutistes de Choc (8 BPC).
- 3ème Bataillon du 3ème Régiment de Tirailleurs Algériens (3/3 RTA).
- 5ème Bataillon de Parachutistes Vietnamiens (5 BPVN).
- 2ème Compagnie de Mortiers Mixtes de la Légion Etrangère (2 CMMLE).
- 2ème Groupe du 4ème Régiment d'Artillerie Colonial (2/4 RAC).
- 1ère Compagnie Etrangère Parachutistes de Mortiers Lourds (1 CEPML).
Photo ci-dessous: les positions françaises sous un déluge de feu de l'artillerie vietminh.
Le 30 mars 1954, à 19h, précédée d'un véritable déluge de feu, la Division Vietminh 312 monte à l'assaut et submerge Dominique-1 et Dominique-2. Sur Dominique-3, la seule position qui s'épare encore la Division 312 du QG français (PC-GONO), les obusiers de 105mm du 2/4 RAC tirent à vue en élévation "0-Degré" (pratiquement à bout portant) contre les vagues d'assaut ennemies, et d'autres batteries d'artillerie sur l'aérodrome ouvrent également le feu en utilisant des pièces AA. Ce qui force le Vietminh à stopper sa progression et à se retirer, ce qui permet d'éviter in-extrémis le désastre.
Photo ci-dessous: le 30 mars, les Bodoïs de la Division 312 montent à l'assaut des positions Dominique-1 et Dominique-2.
Sur les collines Eliane, le scénario est similaire. La Division Vietminh 316 s'empare d'Eliane-1, défendue par le 1/4 RTM. Après quatre heures de résistance désespérée, les Tirailleurs Marocains doivent abandonner leur position. Puis les Légionnaires d'Eliane-2 (1 BEP) parviennent à rallier les survivants du 1/4 RTM. Mais eux-mêmes succombent aux environs de minuit.
Juste après minuit, le 31 mars 1954, le commandement français de Langlais organise une contre-attaque dans le but de reprendre Eliane-2. Le 6 BPC et la 2ème Compagnie du 1 BEP reprennent la position et force le Vietminh au retrait.
Une autre contre-attaque française reprend Dominique-2 et Eliane-1. Mais le Vietminh reprend ses assauts. Les Français, manquant de réserves, doivent abandonner de nouveau les deux positions dans la nuit du 1er avril 1954. (11) Des renforts français sont également envoyés vers Isabelle, 4km au sud, mais ceux-ci n'arrivent pas à rallier le point d'appui et doivent faire demi-tour.
Dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1954, Langlais ordonne à Bigeard d'abandonner les positions Eliane et de traverser la Nam Yum, mais ce dernier refuse. Sur Eliane-2, le 1 BEP, avec l'appui des chars Chaffee du 3/1 RCC, tient fermement ses positions. La Division 316 reprend ses attaques mais les Bodoïs sont taillés en pièce et refoulés.
Le 1er avril 1954, les premiers éléments du 2ème Bataillon du 1er Régiment Colonial Parachutistes (2/1 RCP) du major Jean Bréchignac, en provenance d'Hanoi, saute au-dessus d'Eliane-2 et viennent renforcer le point d'appui français.
A l'ouest, la Division Vietminh 308 parvient brièvement à s'emparer d'Huguette-7 (1/2 REI) au prix de terribles pertes, avant d'en être chassée par une contre-attaque du 8 BPC et quelques chars du 3/1 RCC dans la soirée du 1er avril 1954.
Dans la nuit du 1er au 2 avril 1954, le reste du 2/1 RCP saute en parachute. Dans la nuit du 3 au 4 avril, la Division 308 lance des attaques contre Huguette-6, défendu par la 1ère Compagnie du 1/2 REI, des éléments du 1/13 DBLE et du 8 BPC. Mais les Français s'accrochent au terrain et résistent désespérément. A l'aube du 4 avril, l'aviation française se joint à l'artillerie pour matraquer les Bodoïs survivants.
Photo ci-dessous: légionnaires français sur Huguette-6.
A l'aube du 5 avril 1954, le Vietminh jette l'éponge. Depuis le 30 mars, ses attaques lui ont coûté 6,000 tués, de 8,000 à 10,000 blessés, et 2,500 capturés. Giap suspend ses opérations et attend des renforts en provenance du Laos, le moral de ses troupes est au plus bas. En attendant, il poursuit le développement du réseau de tranchées autour du camp français. (12)
(11) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 248.
(12) Davidson, Phillip. Page 257.
6° Travaux de sappe vietminh (5-30 avril 1954).
Le 5 avril 1954, Giap change de tactique et fait développer considérablement les réseaux de tranchées qui entourent les positions françaises.
Le 10 avril 1954, les Français lancent une contre-attaque pour reprendre Eliane-1 et lever la menace directe qu'elle représente pour Elian-4. L'attaque, comme Bigeard l'a demandé, est précédé d'un court pilonnage d'artillerie. Celui-ci utilise de petites unités d'infiltration à la place d'un assaut frontale direct. Le Vietminh lance à son tour des attaques pour reprendre la position perdue.
Au cours de cette journée, Eliane-1 changera de main sept fois, mais à l'aube du 11 avril 1954, les Français contrôlent la position. Le Vietminh lance une ultime attaque le 12 avril pour reprendre Eliane-1, mais est refoulé. (13)
Durant ces combats pour Eliane-1, de l'autre côté du camp français, les réseaux de tranchées vietminh encerclent presque entièrement Huguette-1 et Huguette-6.
Dans la nuit du 10 au 11 avril 1954, la garnison d'Huguette-1 attaque les tranchées vietminh dans l'espoir de briser son encerclement. Attaques répétées les 14/15 avril et 16/17 avril.
Devant l'inutilité de ces attaques et les pertes croissantes qu'elles entraînent, Langlais ordonne le 18 avril d'abandonner définitivement Huguette-6. Ses défenseurs tentent une sortie pour rejoindre les lignes françaises, mais seul un petit nombre d'entre-eux y parviendra. (14)
Le Vietminh poursuit les travaux de sappe autour d'Huguette-1 et, le 22 avril 1954, la position française est totalement submergée et perdue. Avec la perte d'Huguette-1, le Vietminh contrôle maintenant 90% de l'aérodrome, ce qui rend fort périlleux et aléatoires les parachutages d'armes, d'approvisionnement et de renforts français.
Le lendemain, 23 avril 1954, les Français lancent une attaque dans l'espoir de reprendre Huguette-1, mais celle-ci est repoussée.
A Hanoi, bien que tout le monde sait que tout est perdu, l'état-major organise des recrutements destinés à être parachuter sur Dien Bien Phu. Des centaines de personnes, civils ou militaires, formant un ensemble hétéroclite d'origines sociales diverses, y répondent. Ils n'ont jamais sauté en parachutes et seront une cible de choix pour le Vietminh, mais "tentent le coup". Leur motivation est d'aller se battre "pour aider les copains" ou pour "l'honneur". Une fois arrivés sur zone, en raison de la confusion et de la pagaille qui règnent dans le camp retranché, une partie d'entre-eux atterrit même chez l'ennemi. (15)
Le Vietminh utilise la même technique de sappe, lente mais inexorable et implacable, contre Isabelle, au sud, où à la fin du mois, les défenseurs se retrouveront à court d'eau potable, de vivres et de munitions. (16)
Ci-dessous: blessés français attendant d'être évacués du Chaudron. Jusqu'à la fin, les C-47 de l'Armée de l'Air essaieront de sauver le maximum de personnes.
(13) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 265.
(14) Davidson, Phillip. Pages 258 et 260.
(15) Pierre Schoendoerffer, Dien Bien Phu, 1991.
(16) Davidson, Phillip. Page 260.
7° Assaut final (1er-7 mai 1954).
Les Bodoïs lancent l'attaque finale contre les défenseurs français épuisés dans la nuit du 30 avril au 1er mai 1954. Ils emportent Eliane-1, Dominique-3 et Huguette-5. Eliane-2 parvient à résister et refoule les vagues d'assaut ennemies.
Le 6 mai 1954, le Vietminh lance une autre attaque massive contre Eliane-2. Au cours de cet assaut, le Vietminh emploit pour la première fois des fusées Katioucha. (17)
L'artillerie français innove également: elle met au point les tirs de saturation TOT (Time On Target), où les obus des différentes batteries d'artillerie arrivent au même moment sur leurs objectifs. Ces barrages d'artillerie en général causent des ravages dans les rangs de l'infanterie ennemie et brise les attaques du Vietminh. (18)
Dans la nuit du 6 au 7 mai 1954, vers 2h du matin, les Bodoïs qui ont creusé des galleries souterraines sous Eliane-2 et les ont bourré d'explosif, font sauter littéralement le sommet de la position française. Sur les autres points d'appui, les vagues d'assaut de l'infanterie Vietminh se succèdent sans arrêt et, peu à peu, les défenseurs sont submergés. (19)
A l'aube du 7 mai 1954, Giap ordonne une ultime attaque massive contre le reste du camp retranché français. Vers 17h, Christian De Castries envoit un dernier message radio au GQG français à Hanoi: "Les Viets sont partout. La situation est très grave. Les combats sont confus et je sens qu'ils approchent. La fin est imminente, mais nous combattrons jusqu'au bout..."
Le général René Cogny lui répond: "Bien compris. Vous combattrez jusqu'à la fin. Il est hors de question de hisser le drapeau blanc après votre résistance héroïque." (20)
En fin de journée, c'est la fin: toutes les positions centrales françaises ont succombé. Les défenseurs d'Isabelle qui tiennent encore, 4km au sud du PC-GONO, effectuent une sortie pour échapper à l'encerclement du Vietminh. Seuls 70 survivants, sur une garnison initiale d'environ 1,700 hommes, parviendront à s'échapper et à gagner le Laos. (21)
Photo ci-dessous: les soldats Vietminh de la division 316 investissent le PC-GONO dans la soirée du 7 mai 1954.
(17) Davidson, Phillip (1988), Vietnam at War, New York: Oxford University Press, 1988. Page 236.
(18) Davidson, Phillip. Page 261.
(19) Davidson, Phillip. Page 262.
(20) Time Magazine, The Fall of Dien Bien Phu, 17 mai 1954.
(21) Davidson, Phllip. Page 263.
Bilan de la bataille et camps de rééducation Vietminh.
Dien Bien Phu a été la plus longue et la plus sanglante bataille de l'après Seconde Guerre Mondiale. On estime à près de 25,000 le nombre des Bodoïs tués pendant le siège, entre le 13 mars et le 7 mai 1954.
L'armée française compte 2,293 tués et 11,721 prisonniers recensé par le Vietminh, dont 4,436 blessés, dans ses rangs. 71% de ces derniers décèderont dans les mois qui suivent en captivité. A l'instar de la Marche de la Mort de Bataan, aux Philippines, ils doivent marcher à travers jungle et montagnes sur 700km, de nuit pour échapper à l'aviation française. Ceux qui sont trop faibles meurent ou sont achevés en chemin. Puis ils sont cantonnés dans des camps en zone frontalière chinoise.
Là, un autre calvaire les attend. Les conditions d'hygiène sont effroyables, et les prisonniers sous-alimentés doivent subir sans arrêt le matraquage de la propagande communiste. Cela se traduisait par des séances d'autocritique où ceux-ci devaient avouer les crimes commis contre le peuple vietnamien (réels ou supposés), implorer le pardon, et être reconnaissant de la "clémence de l'Oncle Ho qui leur laisse la vie sauve."
La majorité des tentatives d'évasion ont échoué, malgré l'absence de barbelés ou de miradors de surveillance. Les distances à parcourir étaient trop grandes pour espérer survivre dans la jungle, surtout pour des prisonniers très diminués physiquement. Ceux qui étaient repris étaient exécutés.
Après la Conférence de Genève, la France et le Vietminh parvinrent à un accords sur le principe d'échange des prisonniers. 3,290 combattants de Dien Bien Phu furent restitués, dans un état squelettique comparable à celui des survivants des camps de la mort nazis, à la Croix-Rouge internationale. Par contre, le destin des 3,013 prisonniers d'origine vietnamienne demeure à ce jour inconnu. (22)
Photos ci-dessous: 1° "Accord de Genève" au Palais des Nations, 21 juillet 1954. Dans l'assemblée, on reconnait les représentants de l'Union Soviétique, Vyacheslav Molotov, et de Grande-Bretagne, Anthony Eden. Les délégués du Vietminh apparaissent de dos, à l'avant plan. 2° Prisonnier de guerre restitué par le Vietminh après les Accords de Genève. 3° Affiche cinéma du film Dien Bien Phu de Pierre Schoenderffer (1992). 4° Signature du Livre d'Or au QG de l'Armée française à Hanoi. 5° PC-GONO aujourd'hui.
(22) Jean-Jacques Arzalier, Les Pertes Humaines, 1954-2004: La Bataille de Dien Bien Phu, entre Histoire et Mémoire, Société française d’histoire d'outre-mer, 2004.
Georges Boudarel, le Camp 113 et le rôle du Parti communiste français.
Né le 21 décembre 1926 à Saint-Etienne (Loire) dans une famille catholique, Georges Boudarel fait de bonnes études chez les Pères Maristes, puis obtient sa licence de philosophie.
Boudarel prend sa carte du Parti Communiste Français en 1946. Nommé enseignant en Indochine, alors qu'il n'a pas encore effectué son service militaire et se trouve en situation de "sursis", il embarque pour l'Indochine au début d'avril 1948. Débarqué en Cochinchine, il est affecté au Lycée Yersin de Dalat comme professeur de philosophie.
A Saigon, il établit des contacts suivis avec la cellule du Kominform appelée "Groupe culturel marxiste numéro 106". Il remplit diverses missions pour l'Education Nationale: correction du baccalauréat à Hanoi en juin 1949, stage au Collège de Vientiane au Laos en automne 1949, affectation au lycée Marie Curie à Saigon fin 1949.
En 1950, il décide de sauter le pas, écrit-il, et rejoint le maquis vietminh. Il y sert pendant deux ans. Plus tard, il sera appelé sous les drapeaux sur le territoire indochinois et, ne se présentant pas aux autorités militaires françaises, il sera considéré comme "insoumis", et non comme déserteur.
Pendant cette période, il devient membre du Parti Communiste Indochinois d'Ho Chi Minh, qui se transforme peu après, le 3 mars 1951, en Parti des travailleurs (Dang Lao Dong). Il est affecté à la radio "Saïgon-Cholon libre" où il a en charge l'émission en français. Il prend le nom vietnamien de Daï Dong, c'est-à-dire: "Fraternité universelle".
Fin 1951, il est désigné pour servir au Nord en vue de faire de la propagande en faveur de la paix et du rapatriement du Corps Expéditionnaire français (CEFEO) auprès des prisonniers que le Vietminh envisage de libérer pour faciliter la fin des hostilités.
Il se met en route début 1952 et mettra presque un an à rejoindre le Tonkin, en passant par les pistes de montagne de la Cordillère Annamitique, et en évitant soigneusement les forces françaises.
Le 22 décembre 1952, il arrive au Viet-Bac (Zone "libérée" par le Viet Minh) et se voit nommé "Instructeur Politique adjoint" au commissaire politique du Camp 113. Il est assimilé à un chef de compagnie avec une rémunération triple, soit trois kilos de paddy par jour. Le kilo de paddy, riz non décortiqué, est alors l'unité monétaire dans les zones occupées par le Vietminh.
Il arrive le 7 février 1953 au Camp 113, situé à Lang-Kieu, non loin de la frontière chinoise, au sud d'Ha-Giang, dans le bassin de la Rivière Claire (Song Lô), à une vingtaine de kilomètres de Vinh Thuy.
Il y appliquera consciencieusement le programme de lavage de cerveau conçu par le Dich Van, organisme du gouvernement central chargé de la rééducation politique des prisonniers de guerre.
Il mesure parfaitement les absurdités du système, et parfois même son ignominie, surtout lorsqu'il constate le taux très élevé de la mortalité parmi les captifs: 50%, au sujet duquel il alerte sans succès sa hiérarchie. Il écrira par la suite: "Comme les détenus, j'étais prisonnier du système" (Voir son autobiographie).
Il quitte le Camp 113 en février 1954 et se voit affecté à l'émission radio La voix du Vietnam, situé dans un endroit tenu secret du Tonkin.
En octobre 1954, à la suite des Accords de Genève, il rejoint Hanoï où il restera dix ans.
Déçu par l'évolution du régime communiste et les purges de 1955-1956 qu’il décrira plus tard dans un livre témoignage (23), il quitte le Vietnam et se réfugie à Prague en 1964. Il y obtient un poste à l'"Institut d'Etudes Orientales", puis il entre comme rédacteur à la "Fédération Syndicale Mondiale". Il découvre alors la sclérose du système communiste dénoncé par Nikita Krouchtchev.
Entre temps, en France, il a été condamné à mort pour "insoumission et désertion". Le 17 juin 1966, à Paris, l'Assemblée Nationale vote la loi d'amnistie relative aux infractions commises en relation avec les évènements d'Algérie. Un amendement communiste constitue l'article 30 de cette loi. Il stipule que "sont amnistiés de plein droit tous crimes et délits commis en liaison avec les évènements consécutifs à l'insurrection vietnamienne, et antérieurement au 1er octobre 1957".
Georges Boudarel profite de ces dispositions pour rentrer en France après dix-huit ans d'absence qu'il qualifiera pudiquement, par la suite, de "voyage d'études en Extrême-Orient". Il reprend une vie normale sans être ennuyé, y compris en ce qui concerne son service militaire qu'il n'a pas encore effectué. Grâce à l'amnistie, il est redevenu simple sursitaire. Le réalisme politique prévalant, il en est "exempté pour raison médicale".
Il entre à l'université Jussieu-Paris-7, dès sa création en 1970, et y devient maître de conférence d'Histoire. Il milite pendant un temps au sein du "Front de solidarité Indochine" trotskiste, puis fait deux courts séjours au Vietnam en 1978 et 1989.
Il prend position contre le régime d'Hanoï dont il dénonce les méthodes d'endoctrinement et le système en publiant un second livre. (24)
Il vivra tranquille jusqu'à la fin de sa vie. Le 13 février 1991, au cours d'un colloque organisé au Sénat par le "Centre des Hautes Etudes sur l'Afrique et l'Asie Modernes", il doit prendre la parole. Il est alors pris à partie par Jean-Jacques Beucler, ancien ministre et ancien député, qui a été lui-même captif en Indochine quatre ans durant et parle au nom des nombreux anciens prisonniers du Vietminh qui l'entourent.
Ainsi débute "l'Affaire Boudarel". Boudarel, qui est accusé de "torture envers des prisonniers de guerre français", sera soutenu par de nombreuses personnalités de gauche, au nombre desquelles Pierre Vidal Naquet, qui, sans pour autant l'exonérer, "refuse de cautionner, même par un simple silence, la chasse à l’homme qui est en train de se dérouler" (Le Monde, 23 mars 1991).
Plus tard, il quittera le Parti Communiste Français, déclarant au journal Le Monde en 1991: "J'étais stalinien, je le regrette à 100%..." C'était bien tard...
Il cesse d'exercer à Jussieu en 1992, date de son départ à la retraite. Il s'éteint paisiblement le 26 décembre 2003 à l'âge de 77 ans.
Biographie de Boudarel
Georges Boudarel (Wikipedia.org)
(23) Georges Boudarel, "Cent fleurs éclosent dans la nuit du Vietnam", Jacques Bertoin, 1991.
(24) Georges Boudarel, "La bureaucratie au Vietnam", L'Harmattan, 1983.
Opération Vulture: participation américaine à la bataille.
En vertu de la Loi d'Assistance et de Défense Mutuelle (Mutual Defense Assistance Act), les Etats-Unis fournissent déjà le Corps Expéditionnaire français en matériel depuis 1945. Aide matérielle consistant principalement en avions B-26 Invader, P-63 Airacobra, C-47 Skytrain, F6F Hellcat, F8F Bearcat, Vought F4U Corsair, SB2C Helldiver et Douglas A-1D Skyraider. En outre, 34 pilotes de la Civil Air Transport (CAT), la compagnie aérienne des Tigres Volants créée par Claire Chennault et affraitée par la CIA, effectuent des vols au-dessus de la "Cuvette" dès novembre 1953.
Le 31 mars 1954, après la chute des positions Beatrice, Gabrielle et Anne-Marie, un groupe de sénateurs et de représentants du Congrès américain soumettent la question d'une éventuelle participation, active et directe, des forces armées américaines au chef d'état-major adjoint interarmes (Chairman of the Joint Chiefs of Staff), l'amiral Arthur W. Radford.
Après la demande d'assistance d'Henri Navarre, Radford fournit aux Français deux squadrons de B-26 Invader. 34 de leurs équipages américains accompliront 682 sorties de bombardements des positions Vietminh jusqu'à la fin. Mais Radford avoue qu'il est désormais trop tard pour que l'US Air Force sauve le camp retranché français.
Dès le début de l'opération Castor, en novembre 1953, le général Chester McCarty fournit aux Français douze C-119 Flying Boxcar de transport pour convoyer les parachutistes français sur zone. Ceux-ci serviront pendant toute la durée de la bataille de Dien Bien Phu, et deux aviateurs américains, Wallace Bufford et James McGovern, Jr, seront tués en service commandé de la France.
Le 20 février 2005, les sept derniers pilotes américains de la CAT ou de la CIA encore en vie qui ont participé à la bataille de Dien Bien Phu, sont décorés du titre de "Chevalier de la Légion d'Honneur", la plus haute distinction française, par Jean-David Levitte, l'ambassadeur français aux Etats-Unis. (24)
L'écrivain français Jules Roy suggère également que l'amiral Arthur Radford discuta avec l'état-major français la possibilité d'utiliser des armes atomiques (une des options envisagées par l'opération Vulture), larguées par des B-29 sur les positions et les voies de ravitaillement du Vietminh autour de Dien Bien Phu. Mais cette option aurait été finalement rejettée par le gouvernement français.
On rapporte que John Foster Dulles, alors Secrétaire d'Etat du président Dwight Eisenhower, aurait également envisagé l'utilisation d'armes nucléaires tactiques. Et d'autres sources encore prêtent un avis similaire au Ministre britannique des Affaires Etrangères, sir Anthony Eden.
Photos ci-dessous: 1° Fairchild C-119 Flying Boxcar de la CIA, avec cocardes françaises, ravitaillant Dien Bien Phu. 2° Grumman F8F-1B Bearcat de l'Armée de l'Air, Groupe de Chasse GC 1/22 Saintonge, à Dien Bien Phu en janvier 1954. 3° F4U-7/AU Corsair du Marine Attack Squadron VMA-324 sur le pont du USS Saipan, au large de Tourane (Da Nang), porte-avions "prêté" à la marine française en avril 1954 pour aider le camps retranché.
(24) France to Fete American Pilots, Los Angeles Times, Feb 20, 2005.
Article modifié le 25 février 2017.
Sources principales:
• Battle of Dien Bien Phu (Wikipedia.org)
• Chemin de mémoire - La Bataille de Dien Bien Phu (gouv.fr)
5 comments:
Bonjour,
Pour les amateurs de la bataille de Dien Bien Phu, un élément complémentaire sur le renseignement pendant cette bataille.
http://pourconvaincre.blogspot.com/2008/12/le-dni-de-ralit-une-cause-de-dfaite.html
Cordialement
SD
Bravo pour cette synthèse tres complète . A noter que si il existe un cimetière militaire vietnamien dans la vallée, les corps des combattants de l'union Française tombés là bas n'ont jamais été relevés et sont resté là ou ils étaient le 7 mai 1954...
Pour ne pas oublier le sacrifice de nos soldats français ou étrangers au service de la France.
Que le nom de cette crapule de Boudarel soit jeté dans la poubelle de L'histoire.
Merci pour l'évocation.
Bonjour, vraiment trop d'erreurs pour ne pas dire de con... pour que l'on puisse prendre au sérieux ce blog qui semblait initialement bien documenté... Dommage !
pour info
http://launedekeg.wordpress.com/2014/12/18/keg-ce-18122014-la-belle-kacem-sinistre-dun-culte/
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